samedi 30 juin 2012

Jour 24 - Lia


Lia est une des personnes les plus extraordinaires qu’il m’ait été donné de rencontrer. Elle n’a jamais étudié la théologie (ses domaines de prédilection sont l’art, les media studies, gender studies et cultural studies). Elle a co-fondé une petite entreprise de multimédia, fait de la photographie et du design, et continue son travail universitaire en donnant des conférences en Indonésie et ailleurs. Ici au GIT, elle encadrait l’équipe d’accueil avec une efficacité redoutable et une indéboulonnable bonne humeur. J’ai eu envie de vous faire partager la joie d’une conversation avec elle en vous faisant entendre un peu sa voix et quelques-unes des ses histoires... j’espère n’avoir trahi ni son discours ni sa pensée en les retranscrivant.

Dans mon village, à l’ouest de Sumatra, la terre tremble trois fois par jour. C’est comme prendre un médicament, on le fait tous les jours mais on n’y pense pas vraiment ! J’ai encore de la famille là-bas, mais maintenant ma vie est ici, à Jogja. Enfin j’espère pouvoir aller en Europe bientôt... J’y suis déjà allée pour des conférences, pour parler de mon travail sur le système matriarcal chez moi. D’ailleurs les auteurs que j’ai lus pour ma thèse sont occidentaux pour la plupart: Bourdieu, Judith Butler... Ce qui m’intéressait, c’était de comprendre l’articulation entre le système matriarcal, l’islam et le système traditionnel; c’est en conflit permanent, et pourtant c’est comme trois branches pour construire un feu: s’il y en avait moins ça ne marcherait pas.
Mon père était un imam. Et ça m’intéresse ce que vous dites sur votre religion ici au GIT, je trouve ça fascinant de vous entendre parler. Pour moi, on ne peut pas mettre Dieu dans une boîte. Il y a la boîte de la religion, mais pour moi, Dieu et la religion sont deux choses différentes, complètement différentes – et je suis très loin de ce que j’ai appris quand j’étais enfant en disant ça. Petite, je suis allée dans une école coranique, j’ai appris l’arable ; au lycée, j’ai été obligée de porter le hijab. J’ai refusé pendant deux ans mais la troisième année j’ai dû céder. Quand j’étais petite, on me disait qu’il y avait un Dieu et qu’il fallait y croire, qu’on allait en enfer si on ne priait pas. Je me souviens d’un livre pour enfants où on montrait l’enfer, avec des ciseaux pour couper la langue des gens. Ca mettait ma mère en colère. Elle disait « pourquoi faut-il dire ça ?! Il suffit de dire qu’il y a un Dieu ! » Et moi, je disais « mais comment il peut y avoir du fer en enfer ? »
En Islam, pour prier on regarde vers le haut. Dieu n’est pas à côté de nous, il est toujours en haut. Dans le Coran, on dit qu’après la mort, beaucoup de questions nous serons posées et qu’on ne pourra pas mentir, parce que chaque partie du corps répondra individuellement. Quand j’étais à l’académie des arts, au début de mes études supérieures, on a imaginé une chorégraphie comme ça : des parties du corps qui réagissaient de façon indépendante, chacune avec sa propre volonté. Moi je devais m’occuper de la musique et je me suis creusé la tête : qu’est-ce qu’il peut y avoir comme musique en enfer ? Et au paradis ? Qu’est-ce qu’il aime comme musique, Dieu ?! Alors j’ai mis un métronome au milieu de la scène – le temps. Pendant dix minutes, on a mis le métronome et les danseurs ont dansé sur cette musique-là. Tu vois, les catholiques ont un rosaire : on prie avec, et quand on a fini le tour, on recommence, c’est circulaire, ça ne s’arrête jamais. C’est ça la musique, le rythme ne s’arrête jamais. J’ai l’impression à vous entendre que quand vous apprenez la théologie, vous avez besoin de regarder en arrière tout le temps.
D’ailleurs j’ai une question pour les étudiants en théologie : après avoir appris la théologie, est-ce que vous vous sentez plus proches de Dieu, ou plus loin ? Quelqu’un m’a dit qu’il se sentait plus loin... mais qu’en tant que pasteur, il ne pouvait plus sortir Dieu de la boîte... Avec cette histoire de Dieu dans une boîte, il y a tout à coup des choses qu’il faut faire et des choses qu’il ne faut pas faire... Vous parlez de choses tellement lointaines, hautes... que vous oubliez les choses simples. Vous partagez des temps de culte, vous parlez de l’Evangile... mais en parlant des petites choses, des choses simples, vous pouvez changer de perspective aussi... Comme cette histoire de Bible : il s’agit de comprendre le message de la Bible finalement, non, plus que la Bible elle-même ? A mon avis, « the medium is the message ». Parfois je vous écoute et j’essaie de rentrer dans votre contexte, vous allez très loin dans vos pensées, vous parlez de désastres, de mission, mais vous oubliez le médium...
J’ai l’impression parfois que les pasteurs sont formés pour juger les gens. Il y en a qui m’ont jugée ici, parce que je suis lesbienne, ça a confirmé mon stéréotype des pasteurs ! Mais en parlant avec d’autres, ça a détruit ce stéréotype... C’est comme si certains ne se rendaient pas compte qu’ils ne sont pas que des pasteurs, mais aussi des amis, des parents, des enfants... et même en parlant avec un ami, c’est comme s’ils se comportaient toujours en pasteurs ! Il y a d’autres fonctions dans l’univers que pasteur... Et s’ils ne cherchent pas à abolir le mur entre eux et leurs paroissiens, ils risquent de se comporter comme s’ils étaient supérieurs, non ? Certains, ici, ils sont pasteurs tout le temps...
Parfois, j’ai l’impression d’être un «pasteur de vie» (a minister of life). Quand quelqu’un me parle et que je comprends, je peux être pasteur – comme vous faites, vous annoncez des bonnes nouvelles, vous avez des bons conseils, des faits objectifs, vous êtes des médiateurs – et parfois, quand je dis ce que je pense, après ils se sentent mieux... et j’étais un pasteur de vie pour eux ! Quand on vous pose une question, vous cherchez la réponse. Et ça fait se sentir bien, d’être dans ce rôle ! C’est un beau métier, pasteur ! C’est pour ça que vous apprenez, que vous allez en cours ici, que vous lisez autant de livres. Ils vous croient, et vous les aidez. C’est la même chose dans l’islam : annoncer de bonnes nouvelles, aider, être bons envers les gens... Mais ça implique aussi d’exclure certains. Moi, par ce que je suis, j’ai faux partout !
J’aime bien vos temps de worship. Du coup je me demande ce que ça signifie dans mon propre contexte. C’est quoi, au fond ? c’est de dire merci, d’attendre une bénédiction. Quand j’entre dans la chapelle ici, j’attends la performance... C’est un peu comme si j’étais au théâtre ; et c’est bien ! Le sermon vu comme une performance, c’est quelque chose qui peut s’interpréter (et j’adhère aux thèses du post-structuralisme, là, sur l’interprétation). Il y a un message, beaucoup d’interprétations, ça doit se lire. Et tous ces détails ont une signification : allumer une bougie, se tenir dans le silence, se saluer... Je ne sais pas si c’est quelque chose de bon ou pas en soi, mais assister à ces moments, c’est comme assister à un spectacle. On peut faire ça n’importe où, n’importe quand. Après, il faut voir si Dieu doit être considéré comme le public ou comme un personnage dans le spectacle !
Moi, quand je lui parle, je lui parle, et après il me laisse tranquille, il me laisse vivre. Mais je ne sais pas s’il est toujours là. Vous, vous pouvez vous adresser à quelqu’un, à Jésus. Pour nous, Dieu est abstrait, en islam on ne peut jamais se le représenter. Mais je pense qu’il est toujours là. Il est impossible à imaginer, mais toujours là. Enfin, il faudrait le prouver. On ne peut pas penser que par analogie ! On peut prouver l’existence de l’oxygène en allumant une bougie, mais Dieu... c’est trop facile, de faire une analogie.
Enfin je crois à une puissance en tout cas. D’ailleurs si ça n’était pas là, on se serait pas là en train de parler ensemble, non ? Tous ces gens réunis qui viennent du monde entier, qui se rencontrent comme ça... Après, ça demande un engagement personnel, particulier, et ça il faut y être prêt... Quand j’étais enfant, on a essayé de me forcer à croire, et je n’aime pas ça du tout... Quand j’ai réalisé que j’étais lesbienne, j’étais sale pour eux. Je voulais prier, faire face à Dieu, mais on m’a dit que je n’avais pas le droit, du coup j’avais peur de lui faire face, de prier, de lui parler. On m’a dit qu’il ne m’écouterait pas. Enfin elle ! Moi je pense que Dieu est féminin !
Mais la religion, c’est comme un style, comme le style qu’on choisit de porter. Pour croire en Dieu, il faudrait que je choisisse une religion. Ou est-ce qu’on peut croire sans religion ? Tu crois ? Je ne sais pas. Le commitment... mais il y a des tas de règles et je n’aime pas ça ! Ou alors Dieu ne fait pas de règles et c’est nous qui les inventons ? Mais j’ai l’impression qu’il faut faire quelque chose de concret pour se rapprocher de Dieu. Enfin si on pense comme ça, tout est concret, même la pensée : ça prend du temps, de l’espace, c’est du concret. J’ai besoin de croire en quelque chose. En moi, déjà !
Enfin bon, une religion, c’est quand même comme un parti politique : on rassemble des gens, on recrute, on gère de l’argent, on essaie d’en gagner, on essaie de convaincre... Mais quand vous apportez une religion quelque part, vous cassez tout... vous dites que votre propre religion est la bonne, que vos règles sont les bonnes... ça fait changer les gens, ça les transforme complètement. Comme un parti politique, on dit aux gens « regardez mon programme, j’ai une meilleure vie pour vous, et on a besoin d’argent ! » Dans un sens, c’est comme ça que je vois la religion.
Quand j’étais gamine, je jouais du piano. Et j’ai essayé de trouver un nouveau système tonal – dans ma culture, le système tonal est très différent, chaque instrument joue indépendamment. Je cherchais quelque chose que je ne trouvais pas. Le professeur m’a dit qu’il fallait que je trouve une ligne, et j’ai cherché. Et quelques jours plus tard, elle m’a appelée et elle m’a dit : « cette ligne, c’est ce qui te retient, ce qui te permet de revenir à ton point de départ quand tu t’éloignes, c’est à ça que tu te raccroches pour revenir ». Ca permet la flexibilité, ça permet de s’éloigner et de revenir quand ça devient trop difficile. C’est quelque chose à quoi on peut croire et qui te ramène à ton propre lieu. Quand on croit en Dieu, par moment, c’est le même sentiment. On essaie de trouver des réponses, tout le temps. Et le dimanche, quand vous êtes assis à l’église, vous êtes juste assis là... mais ça vous ramène à votre point de départ, à votre propre lieu. Dieu, il ne donne jamais de réponses ; vous répondez à vos propres questions...
Je dois croire qu’il me parle et que je ne comprends pas. C’est un jeu, tout le temps. Il y a une histoire, comme ça, d’un homme et son fils, qui sont partis chercher Dieu. Ils ont trouvé un arbre immense et ils ont commencé à lui vouer un culte. Et puis ils ont découvert qu’il y avait d’autres arbres, encore plus grands, et ils ont laissé tomber. Et puis ils ont découvert un rocher gigantesque et ils lui ont voué un culte. Et il y avait d’autres rochers encore plus grands... Alors le père, fatigué, a dit à son fils : « Ecoute fiston, je suis fatigué, on rentre à la maison, tant pis. On dira qu’on a trouvé Dieu. Et si on te pose des questions pour savoir qui est Dieu, tu diras que ça doit rester un mystère, parce que Dieu n’aime pas les questions... »
Un jour, le président indonésien a raconté que les chrétiens étaient très proches de Dieu, parce qu’ils l’appellent papa ; mais que les bouddhistes étaient encore plus proches de Dieu, parce qu’ils l’appellent « ohm » (chez nous, ça veut dire oncle, et on est beaucoup plus proches de notre oncle que de notre père – c’est celui qui nous achète des glaces!). Mais nous... nous, on est obligés de l’appeller par haut-parleur !
Enfin le GIT, c’était une expérience... rencontrer tous ces pasteurs, qui étudient ensemble, se posent des questions... ça pose des questions. J’espère que vous avez trouvé des réponses...



vendredi 29 juin 2012

Jour 23 - Salut !

Hier on parlait des commencements. On a aussi parlé au GIT, ces jours-ci, des fins. Le salut, c’est quoi ? Pour les contemporains de Calvin, on imagine que ça devait aller de soi. Echapper à l’enfer. Gagner son paradis. Mais aujourd’hui ? Comment dire le salut aujourd’hui ? Qu’est-ce que ça signifie au juste ? Nous étions une dizaine ; tous théologiens, pasteurs pour la plupart. Et pourtant nous avons eu la surprise, dans la liberté de parole qui a caractérisé nos échanges, de constater que nous ne savions pas... Nous avons une idée, pour nous-mêmes, de ce que ça peut signifier. On peut évoquer notre espoir que le salut est pour tous. Mais c’est comme si c’était un point aveugle de nos théologies respectives – nous n’abordons la question qu’avec prudence. La systématique ne rejoint pas l’existentiel (pardon pour les gros mots!). C’est quoi, le salut, pour vous ?
Le salut, le jugement et la grâce, on en a parlé ailleurs et je ne compte pas y revenir ici. Ca fait partie des questions que je ramènerai.
Ce matin, c’était picture time pour tout le monde, puis tout le monde ou presque a embarqué dans un taxi pour aller qui faire ses dernières emplettes de batik, qui visiter une fabrique de bijoux en argent, qui simplement faire un tour à pied avant qu’il ne fasse trop chaud. Je crois que cet après-midi, un tour à la plage est prévu, et demain ce sera le zoo. Il ne reste plus dans le dorm que quelques isolés, sous le relais du modem, ou la guitare à la main, ou simplement assis sur les marches à penser à autre chose. C’est un vrai soulagement que les cours soient finis. Ca a été très intensif en terme de temps, et le travail en commun pour les presentations de fin de cours a exigé une certaine énergie. C’est parfois difficile d’élaborer une œuvre commune quand on a des théologies vraiment divergentes et des aptitudes différentes face à la langue anglaise. Mais au bout du bout, chacun a pu mettre la main à la pâte.
Sur l’announcement board, il y a un « 02 » sur l’affichette « days left of the GIT 2012 ». Les groupes de discussion se sont réunis une dernière fois pour un bilan. Qu’est-ce qu’il faudrait changer pour la prochaine fois ? (ce sera dans deux ans en Amérique latine) En regardant autour de moi chacun de ces visages devenus familiers, je pense à ces quelques minutes ou ces longues heures de conversation avec l’un ou l’autre, ou au simple sourire échangé. Et je sais qu’à un moment ou à un autre, nous avons été Christ l’un pour l’autre.
Alors je repense à Luther, et je me dis qu’en étant ensemble ainsi, par-delà le prétexte du travail académique, ce que nous avons pu vivre c’était de protester pour. Pour l’espoir d’une vie possible dans ce monde, pour l’amitié et la fraternité (gandong en indonésien), pour la simplicité de la rencontre. On passe notre vie à protester contre, ici aussi d’ailleurs, contre la pauvreté, l’injustice, les inégalités, la désunion, la guerre et la famine. Et alors ? C’est ça qu’on est supposés faire ? Non ! On est supposés annoncer une bonne nouvelle, pas lutter contre les mauvaises. Et ma bonne nouvelle elle est là. Je proteste pour, avec tout ceux qui sont ici, et bientôt de retour en France, avec tout ceux qui seront là-bas.
Salut !



jeudi 28 juin 2012

Jour 22 - Bereshit


Le contexte – au début, le contexte. Au début, en tête de toute vie possible, il y a un monde vivable. La création de ce monde ne dépend pas de nous. La langue que nous parlons nous précède. La lumière qui nous éclaire vient d’ailleurs. Il faut faire avec. Il faut aussi faire avec l’idée qu’une partie de cette création ne nous est pas accessible : « bereshit bara elohim hashamayim weha’aretz.. » Vous pouvez vivre dans les cieux, vous ? Mais sur la terre, oui, un petit bout de terre où nous avons atterri sans l’avoir demandé. Ce petit bout de terre, cette langue, cette lumière nous les partageons avec d’autres – voilà le contexte dans lequel nous devons vivre.
Ici, le concept de contexte prend une dimension toute particulière. J’ai commencé à en prendre conscience ici, intellectuellement d’abord, avec la théologie contextuelle. Chacun était appelé à annoncer ce qui, dans son propre contexte, donnait l’arrière-plan de la théologie qu’on y pratique. « In my context... » J’ai eu du mal à le définir, ce contexte : est-ce mon continent, mon pays, ma région, ma langue, mon université, mon Église, ma paroisse, ma famille, mes amis... ? Ca fluctue selon les situations, et parfois c’est en contradiction (en tension, on dit chez nous). Aucun contexte n’est parfaitement unifié. La nuance, c’est à la fois la richesse et la malédiction (« stop with the endless nuancing ! ») de notre tradition réformée, nous disait hier matin notre professeur dans le cours « Living Out Reformed Theology and Identity ».
Mais dans la pratique... ce n’est pas si compliqué. Comprendre le contexte de l’autre, ça se fait comme tout le reste dans l’écoute patiente et attentive. Quand j’écoute Lia, j’apprends la façon dont on peut penser sa vie et sa relation aux autres en pensant comment la nature se comporte. « Regarde ce ruisseau qui sort d’un tuyau dans la terre pour alimenter la rizière ! Tu peux penser comme ça ! » Et puis en marchant dans la rue, en croisant le regard des gens, on échange un sourire. Ca fait partie du contexte : ici, on peut se sourire pour dire « je t’ai vu, je te vois en train de mener ta vie, bon chemin ! » Le contexte, comme la foi, ne dépend pas des dogmes. On en hérite, on ne le possède pas, on ne l’enferme pas dans des lois, mais on en vit, d’une certaine manière.
Dans la langue indonésienne (langue commune du pays qui en compte des centaines), c’est le contexte qui permet de comprendre : les verbes ne se conjuguent pas, et parfois le genre ne se dit pas non plus. Il s’agit de faire attention à ce que pense l’autre et il y a toujours la possibilité de ne pas se comprendre. C’est un jeu risqué. Si on ne se comprend pas, m’explique un ami indonésien, ça peut mener à une « guerre froide », chacun se sentant incompris. Mais c’est aussi une langue où on rit beaucoup, où on se moque gentiment de l’autre et de soi. C’est frustrant pour moi de ne pas pouvoir vous la faire entendre ! Cette sonorité me manquera. Il faudrait apprendre la langue – et pourquoi pas – pour commencer à entrer un peu dans ce contexte.
Bon, en attendant, on écrit : nous sommes plusieurs à tenir à un blog (voir les liens dans la colonne de droite), plusieurs à entretenir une correspondance avec « the folks at home » ou à tenir un journal ; certains aussi qui n’ont jamais le temps de le faire ont pris la plume pour se souvenir plus tard. Ca en fait, des mots... Ce matin, nous avons aussi partagé des « signes d’espoir » : chacun était appelé à lire une lettre évoquant ce qui, dans son propre contexte, lui semblait devoir témoigner d’un espoir pour l’avenir. Justice, égalité, dialogue, sens de la communauté, réconciliation, service et hospitalité, lutte contre la pauvreté et l’exclusion... nous avons bien des choses en commun dans ce que nous espérons pour nos Églises et nos cultures.
J’ai pensé aux signes d’espoir que j’ai pu rencontrer ces deux dernières années à l’IPT et ailleurs. Et ce qui m’a semblé le plus sensé, c’était de partager cette confession de foi qu’une toute petite poignée de « jeunes » théologiens a écrite l’été dernier – tous différents, en dialogue, pleins d’espoir. Pour l’occasion je l’ai traduite en anglais (allons, ça ne vous tuera pas de la lire en anglais ! Mais vous trouverez l’original ici, clic). C’est à la fois un point d’arrivée et un point de départ. Bereshit...


We believe that God is present in our lives. We believe that he gathers us together and that he manifests himself where we don’t expect him, in the unexpected occasions of life. We believe that he also manifests himself where we have long expected him, in an unexpected manner and unexpected ways. We believe that he can never be imprisoned within an institution or a definition. We believe that he makes us free and that his hand picks us up when he have fallen. We believe that he gives us the strength to act and to change the world.
We believe that Jesus-Christ comes to us on the path of life. We believe that we are walking in his presence. We believe that he is talking to us and answering us, in the present moment of our life.
We believe that the Spirit is breathing God’s presence in our frailties and in the beauty of our days. We believe that he guides us in the world God created for us and where we are living until the novelty of the Kingdom.
We believe that salvation is for all, without distinction. We believe that in the very middle of this life, which is so beautiful and so complicated, salvation is announced as a promise. We believe that this good news gives every human an irrevocable dignity and the courage to live, from the first breath to the last.
Amen



mercredi 27 juin 2012

Jour 21 – Unité : « The Reformed Family »


Un de nos meilleurs cours ici, c’est « Calvin pour les nuls ». On prend le temps de reprendre les grands thèmes du réformateur genevois, histoire de rappeler en quoi sa théologie informe la théologie réformée contemporaine. Nous parlons, bien sûr, de la prédestination, un thème qui pose clairement problème, ici et maintenant. Ceci dit, je ne peux pas m’empêcher de penser à une clarification donnée par JDC dans un cours d’éthique en début d’année : le thème de la prédestination n’occupe que quelques pages dans la totalité des milliers de pages écrites par Calvin. De plus, il me semble me souvenir (mais corrigez-moi si je me trompe, les amis) qu’il s’agissait d’une question ecclésiologique au premier chef : affirmer après Augustin, Thomas et les autres l’existence de la prédestination, c’est affirmer aussi que personne ne peut savoir qui fait partie de l’Eglise des prédestinés, un argument particulièrement important face à l’Eglise du temps et ses institutions qui affirment que le salut ne peut venir que de l’appartenance à l’Eglise instituée. Église visible, Église invisible. Ca a toujours la même force aujourd’hui. Et je crois que c’est quelque chose sur quoi il ne faut pas lâcher dans le dialogue inter-religieux : personne ne sait, sauf Dieu lui-même qui sera sauvé. Et alors ?
Par ailleurs, hier, une représentante de la World Communion of Reformed Churches (WCRC, en français CMER, Communion mondiale des Églises réformées), l’organisme qui organise le GIT, nous a présenté l’organisation qui est basée à Genève. Le but principal de cette organisation est de « répondre à la mission de Dieu », et cela s’entend essentiellement par l’encouragement de l’unité parmi les Églises membres, avec le slogan « Called to communion, committed to justice ». L’ERF (et donc à présent l’EPUdF) fait partie de la CMER. De nombreuses actions sont mises en place (notamment dans le domaine du genre (gender justice) dans une perpective de construction d’une plus grande justice sociale et ecclésiale, par la lutte contre « a culture of domination that results in the perpetuation of conditions of brokenness and suffering in the body of Christ », d’où l’intérêt pour la mise en valeur de « positive masculinities » et la promotion de l’ordination des femmes dans les Églises membres, ce qui n’est pas le cas dans toutes actuellement), des études sont faites, des réflexions sont en cours en permanence, des formations sont mises en place, il y a même des confessions de foi qui sont rédigées régulièrement (comme la confession d’Accra, la plus récente, qui appelle à « lire les signes du temps » pour prendre conscience de la souffrance de la création, faire face à la destruction de notre terre et poser une ferme critique du système idéologique international menant à l’injustice économique). La justice, le respect de la création, la lutte contre la pauvreté, sont des thèmes centraux, tout cela sous le signe de l’unité. « On ne peut pas rester silencieux : il n’est plus temps d’être silencieux, il faut agir, enough is enough : c’est toute la création de Dieu qui réclame la justice. »
Et vous, que pensez-vous de ce thème de l’unité ? Est-ce quelque chose pour lequel on doive lutter ? Est-ce utile, est-ce nécessaire ? Est-ce indispensable ? Cela fait-il partie de la mission de l’Eglise ?
La question me semble tout à fait centrale dans la théologie réformée. Mais il y a peut-être deux façons, subtilement différentes, de voir la question. D’un côté, on peut considérer que l’unité est une promesse, une promesse donnée par Dieu. De l’autre côté, on peut dire que l’unité est non seulement nécessaire mais impérative, parce que c’est là ce que Dieu exige de nous, sachant que l’Eglise est le corps du Christ.
Sommes-nous une grande famille ? Dans le temps cultuel ce soir, nous avons célébré notre fraternité. Et à la vérité, j’ai été touchée par le partage de la lumière, chacun allumant sa bougie à la bougie de son voisin, par les chants de cette assemblée qui se lance avec joie et espérance dans une langue inconnue qui célèbre un Dieu commun, par les embrassades qui célèbrent la joie d’être ensemble. Peut-être qu’au bout de ces deux semaines et demi, je comprends un peu mieux l’émotion qui unit... peut-être que je peux être touchée à mon tour. « Tu penses trop », me dit-on. Sans doute. J’aurai pris quelques bonnes leçons au passage.
Je rentrerai en France plus riche de nombreuses interrogations. Plus consciente aussi de la qualité de l’enseignement que nous recevons à l’IPT, de la richesse de notre tradition intellectuelle, et du besoin de s’enrichir d’autres traditions malgré la difficulté de les rencontrer. Le GIT a réussi à réunir des gens très différents, qui pensent des choses différentes et les expriment de bien des façons. A-t-on pu s’entendre ? Souvent en tout cas, on s’est au moins écouté. On a pu partager des moments étonnants, émouvants, frustrants, incompréhensibles, humains.
On a partagé aussi le temps, les rythmes quotidiens. Pour certains, ces quelques jours représentent une parenthèse dans une vie tellement remplie qu’ils n’ont plus le temps de penser. Pour d’autres, c’est le temps inespéré de la rencontre avec d’autres, ceux notamment qui sont au milieu de la rédaction de leurs mémoires universitaires et ne voient plus du monde que leur écran et leurs livres. Chacun retournera riche de la compréhension de ce que c’était pour l’autre.
Mais je parle comme si c’était déjà fini... Il reste quelques jours. Avant que la parenthèse ne se referme sur un point d’interrogation suivi de beaucoup de points de suspension...

mardi 26 juin 2012

Jour 20 - Obéissance


 Ce matin, nous avons un cours sur l’identité réformée. Nous parlons, bien sûr de « Sola scriptura ». pour prendre un exemple, nous parlons de la ligature d’Isaac (Gn 22,1-14) et de l’obéissance d’Abraham. « The Lord will provide » se trouve au centre de l’argumentation du professeur. Une question soulevée par une étudiante mène le cours sur l’obéissance de Jésus. Peut-on séparer la mort du Christ de sa naissance et de sa résurrection ? qu’en est-il de son pouvoir, alors qu’il aurait pu échapper à la mort ? À qui alors appartient ce pouvoir ? Est-il un Dieu impuissant ? Que signifie « il fallait qu’il meure ». Le professeur remet au centre « the Lord will provide ». Jésus est non seulement victime mais acteur de sa mort. Dieu a pris l’initiative mais Jésus lui aussi a pris une initiative et nous sommes appelés à faire de même.
Le professeur demande : la mort du Christ sur la croix est-elle une réconciliation des hommes (pardon, des humains) avec Dieu ? Dans la théologie réformée, il semble qu’il y ait un rôle plus actif à jouer de la part des hommes (humains !). Si quelqu’un meurt pour moi sans que j’y puisse rien, ça n’a pas de sens. Si la mort du Christ a du sens, alors il faut que les humains aient une part à jouer. La mort du Christ sur la croix nous appelle au changement. « God will provide, but he will not provide without your initiative. » Même dans les moments les plus difficiles, ne lâchez pas cette espérance. En déroulant le récit de ses expériences, de sa jeunesse, de son travail actuel à la WCRC (CMER), notre professeur nous exprime en quoi cette théologie est pour lui vivante et irremplaçable. La vitalité de la foi – quand l’obéissance signifie de ne jamais lâcher la certitude que « God provides ». Vivre en réformés, avoir une identité réformée, ce serait alors vivre de cette foi-là. Une foi qui nous oblige à rester dans le nomadisme, toujours entre nomadisme et sédentarité (Dt 26,5 ; Lc 9,58 ; Hb 13,14) : « in the end, all depends on our moving along with God ».
Lorsqu’on a compris où se situe cette obligation d’obéissance, on ne peut qu’en témoigner, le montrer, le vivre (« to live out » en anglais) : il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. On ne peut garder le silence (Ac 5,29). C’est le fondement de la déclaration de Barmen, nous rappelle le professeur. Impossible de rester silencieux.
Pourtant, le principe de Sola scriptura et le principe d’obéissance ne fonctionnent que parce qu’il existe la liberté. Dieu ne veut pas des marionnettes, mais des humains qui font des choix.
Pour une partie des étudiants, c’est évident, voire basique : c’est le rappel des grands principes de la foi réformée. Il y a pourtant des sourcils froncés et des questions, notamment sur le concept de free will. Y a-t-il une possibilité de rentrer en dialogue avec Dieu, voire en conflit, ou est-ce que l’obéissance implique de se soumettre sans discussion ? Le professeur évoque la prière à Gethsemané : « que ta volonté soit faite » : bien sûr ça n’est pas simple, c’est en tension en permanence. Mais au fond, l’identité réformée exige que l’on obéisse, pas automatiquement et sans réfléchir, mais obéir ; il faut alors penser au fils prodigue.
Et ce principe de Sola scriptura... au final, qui a l’autorité pour interpréter la Bible. La réponse fuse : « only you ! ». L’autorité vient de ce que la Bible a du sens pour nous.
Je pense au discours de Gamaliel (Ac 5,34-40) : si ça doit rester, ça restera. C’est peut-être ça, la foi, non ? croire que c’est la bonne nouvelle dans tout ça qui va finir par rester et parler. Encore une question en suspens !
Tout le monde est fatigué. Les amitiés en sortent renforcées, parce que quand on est fatigué, on n’a pas l’énergie de parler « to make a point », pour défendre bec et ongles une opinion. On préfère se reposer sur une complicité suffisante pour être sûr que même sans parler la même langue, on parle le même langage. Et je me demande tout à coup si les dissensions dans nos Églises prennent aussi leurs sources dans la fatigue : fatigue d’une institution, fatigue des acteurs qui en font toujours plus ; fatigue d’être soi, chrétiens dans un monde qui ne l’est pas ; fatigue de chercher à défendre des causes qui semblent perdues ; fatigue de vouloir continuer à croire qu’on peut défendre une cause par nous-mêmes. Mais là aussi, nous savons où trouver le fondement de notre joie malgré la fatigue : dans un lien particulier avec celui qui nous rassemble. Amitié oui, comme celle de Pierre : philein, on ne peut sans doute pas faire beaucoup mieux. Mais amitié plus précieuse que tout parce qu’elle nous permet de voir, au-delà de toutes nos fatigues, la trace d’une grâce qui malgré tout nous rassemble. Alors si on devait poser la question (saugrenue, je vous l’accorde, mais bon, la fatigue...) « la théologie est-elle un sport de combat ? », je répondrais non. La théologie est une course de fond ; et le témoin est cette bonne nouvelle que, même sans savoir vraiment la dire, nous pouvons partager et porter au monde.  


Au lait et miel de la rencontre


     


   

      Pour rester dans le ton de l'Indonésie d'hier, où paraît-il c'était cuisine;
 Depuis ma suffragance, je voudrais partager moi aussi une "recette?" où j'ai pu rencontrer ces deux ingrédients délicieux... le lait et le miel.
      Malgré le goût amer que nous pouvons avoir au cours de nos études, ou encore dans nos vies, la théo c'est beau, c'est doux! c'est bon comme le miel et le lait, quand elle nous permet de partager.
Quand on la vit à la fac avec les amis!
Mais aussi, quand elle nous permet d'appréhender la réflexion sur Dieu et que nous pouvons y trouver de quoi relire nos vies. Quand elle nous permet de nous confronter à la réalité d'une paroisse et de la rencontre des "vrais gens". Hé bien oui, car il y a quand même un moment où on se demande où on en est par rapport à la vraie vie après un parcours à la fac de théo et parmi tous nos sympathiques camarades avec qui on se sent par moment un peu extra-terrestre pour la société, et avec qui on peut échanger nos questions, nos doutes, nos chemins en les mettant côte à côte, en vis à vis.
   Certes, il faut veiller particulièrement à la manière avec laquelle se noue la relation avec les paroissiens, mais, finalement, sur le terrain, en paroisse, ce n'est peut-être pas si différent car définitivement, l'étudiant en théo, le docteur de la loi, le pasteur n'a pas un statut privilégié qui lui donnerait plus de réponse.
     De nombreuses questions certes ont pu être étudiées tout au long du parcours. Mais nous gardons tous cette fragilité, cette incapacité à faire ou à dire dans telles ou telles situations.
     A tel point que nous nous interrogeons, comment avancer dans ce désert, là où il n'y a plus de chemin, là où nous n'avons plus de réponse et face à notre impuissance?
Et dans chaque visite, et avec chaque personne, quelles que soient les études, quels que soient les chemins parcourus et le vécu personnel, rien n'est transposable, superposable, substituable. C'est toujours dans cette conscience que chaque chemin est unique que nous pouvons avancer.
     Alors comment garder pour nous le message de cette radicalité de l'Evangile pour pouvoir le témoigner. Et que penser de ce message qui s'adresse à nous aujourd'hui, quand nous avons l'impression aussi, qu'il dit quelque chose pour notre société, qu'il la remet en question et qu'il remet en question les rapports fondamentaux entre les uns et les autres?
     Pour chaque rencontre, chaque visite, nous avons à remettre en question cette Parole pour nos vie et pour qu'elle soit Parole de vie dans la rencontre, non pas pour que cette parole change l'autre, mais pour qu'elle puisse nous changer ensemble pour faire le choix de la vie afin de vivre.
      Mais concrètement?...
Concrètement, là où notre société et chacun de nous a cette tentation de vouloir justement donner une parole et une réponse, pour toute chose. C'est à l'écoute d'une parole autre que nous nous en remettons. Cette parole de la personne que l'on rencontre, et cette Parole qui nous "retourne" et peut nous relever.

Dans ces moments de suffragance, il y a effectivement ces visites, ces rencontres que nous sommes amenés à vivre.
Et il arrive parfois, au coeur d'une visite, qu'on n'ait plus de mots.
Même à ce moment sans mot, peut se révéler une intention de prière, un sujet. Cette parole humaine qui veut nouer le contact avec Dieu, cette parole fragile qui veut continuer à dire là où on est impuissant, là on on ne peut plus dire. Parfois, avec une prière, il s'agit d'une intention que l'on laisse à l'attention de l'autre, qui dit aussi que l'on a pas de mot ou qu'on ne veut pas les imposer à Dieu ou à l'autre, même si on accepte de se placer en prière pour que ça continue à parler au delà de nos mots... Et parfois, des mots sortent, face à l'inconnu(e), dans l'inattendu de cette rencontre, des mots qui se disent, sans se la raconter, des mots qui acceptent de remettre l'intime et le partager dans la confiance que ces mots et ces maux déposés prendront une autre dimension pour nous grâce au Seigneur en lequel on se confie.
Alors, oui, même une parole amère, même au creux de tout ce qui est le plus difficile à avaler de nos situation, on peut avoir l'espérance que cette parole dans nos bouches, nos oreilles et pour nos vies devienne lait et miel, Parole d'une promesse, la promesse que Dieu est là, qu'il est présent dans la rencontre, au delà de nos frontières. Dans la rencontre de l'autre coule le lait et le miel de Dieu.
Alors, c'est vrai, je vous parlais de recette et je vous laisse sur votre faim... mais finalement, on dit bien, l'ingrédient essentiel pour toute recette... c'est l'Amour, n'est-ce pas?...
RD

lundi 25 juin 2012

Jours 18 & 19 - Church & Cooking


 Hier, nous avons assisté à un culte en javanais. Je ne dirai pas que c’est très différent de l’indonésien parce qu’honnêtement je serais incapable de vous dire en quoi précisément ça diffère, mais déjà ça s’écrit autrement, comme en témoignait l’affichage vidéo des cantiques. Le truc, c’est que les deux derniers dimanches, nos amis indonésiens pouvaient nous aider à comprendre quelques bribes en traduisant ici ou là des passages de la liturgie, mais hier tout le monde était à la même enseigne. Le seul étudiant qui comprend le javanais était rentré à la maison pour le week-end. Etrangement, c’était un moment de culte apaisant et signifiant malgré tout. Temps en suspens pour la méditation et la prière, au rythme familier d’une prédication, où les pensées peuvent suivre leur cours...
Ensuite, nous avons travaillé ensemble. Vous connaissez la parabole du bon Samaritain (Lc 10,25-37), bien sûr. Pour notre cours sur la mission (passionnant à bien des points de vue), nous avons exploré cette parabole pour évoquer le thème de l’hospitalité. C’est un texte complexe, comme toutes les paraboles, à la fois du point de vue de la structure et du contenu. Une approche narrative un peu serrée montre que la question de Jésus renverse la totalité de la narration. Qui est le prochain de l’homme blessé ? Voilà ce que demande Jésus. Or on attendait plutôt la question : « qui est le prochain de l’homme qui s’arrête pour aider ? ». D’ailleurs, l’intéressant c’est que si on demande à des gens, comme ça, au hasard (enfin pas totalement au hasard, ce sont des théologiens, certes), quelle est la chute de l’histoire, leur interprétation, souvent, repose sur la deuxième question (que ne pose pas Jésus) plutôt que sur la première. Ca rend les choses tellement complexes qu’on a passé la soirée d’hier à s’emmêler les pinceaux dans le script du mime qu’on essayait de mettre en place.
Du coup, ça a donné lieu à une véritable discussion théologique et « oh boy » comme on dit ici, ça fait du bien de débattre et d’en rire en même temps. Comme tout le monde s’y perd, chacun aide l’autre à élaborer son argument, même si ce n’est pas sa position de départ. Disputatio, on a fait ça à l’IPT en début d’année et c’était une expérience assez éprouvante, mais parfois, c’est à la fois joyeux et fructueux. Enfin il reste à savoir si notre public (captif) y comprendra quelque chose. Pour parfaire l’élégance du truc, on a décidé de rester sur une question. Toutes les hypothèses sont donc encore ouvertes, à chacun de se faire son opinion. Et vous, qu’en pensez-vous ?
Nous entamons ce matin la dernière semaine du GIT en Indonésie. Dimanche, chacun repartira de son côté. C’est donc la semaine des dernières fois, la semaine du Talent show aussi, des échanges de mail, et tout ça. Mais ce soir, on innove : ce sont les étudiants qui cuisinent. Ca devrait être intéressant ; l’équipe est internationale et j’espère qu’il n’y aura pas de grands débats éthiques sur la question de comment on épluche une pomme de terre – mais si c’est le cas je ne manquerai pas de vous en faire part. Histoire que vous puissiez mettre votre grain de sel. Bonne journée !


(Photo Anita)

dimanche 24 juin 2012

Jours 16 & 17 - Temples


 Hier c’était un peu la fête de la musique, ici aussi : avant le ciné (Prometheus, très étrange, mais les sous-titres en indonésien étaient très bien), on a pris un verre dans un café en plein air (il fait toujours chaud ici de toute façon, il n’y a que deux saisons : saison humide et saison sèche) et écouté un groupe local. Ce qu’ils chantaient ? « Bof, de toute façon c’est toujours des chansons d’amour... » ont répondu les amis indonésiens avant de reprendre en choeur ; sur le grand écran derrière apparaissent des rizières au soleil couchant. Des chauves-souris passent en rase-motte, une famille arrive tranquillement et s’installe, les petites filles et la maman portent un hidjab ; à côté, une jeune fille en minijupe pianote tranquillement sur son Blackberry et plus loin, un rocker en blouson de cuir et chapeau mou bat la mesure. Réalité ou perception biaisée, un des premiers mots qui me viendraient pour parler de Jogja, ce serait « sérénité ». Ca donne envie d’y rester pour comprendre, un petit peu, pour apprendre à traverser une rue sans trembler, s’asseoir au bord de la route pour prendre un café ou manger un beignet au poulet mariné sur un tapis par terre, traverser la ville la nuit en observant les lumières, échanger un sourire avec une maman qui porte son bébé dans un tissu sur la hanche. Et apprendre la langue, pour pouvoir écouter mieux et parler un peu plus facilement. Une autre fois. En attendant, on ne partage que le trivial ou l’essentiel, à mi-mots.
En anglais, un temple se dit « church », un temple concerne donc une autre religion que la religion chrétienne. Les temples que nous avons visités ces deux derniers jours sont bouddhiste pour le premier (hier), hindous pour les autres, ce matin. Je ne suis pas très douée pour donner le contexte, historique ou culturel, mais j’ai pris des photos et je les partage avec vous ici (enfin je vais faire de mon mieux pour batailler avec un internet un peu soupe au lait).


Borobudur

















Prembanan









vendredi 22 juin 2012

Jour 15 - Tentative d'épuisement


Lecture commune d’un article de notre professeur dans le cours sur la création et le désastre (« the Disaster Class » comme on l’appelle entre nous). En langage inclusif, il faut le savoir, pour éviter de qualifier Dieu en utilisant les catégories du masculin et du féminin, au lieu d’écrire « God himself » on utilise le mot « Godself ». Une étudiante canadienne s’insurge. « Quand je lis « lui » ou « il » pour faire référence à Dieu, ça diminue son importance à mes yeux et ça me dérange. » Le professeur s’excuse : il a essayé, dit-il, d’utiliser un langage neutre, mais il n’y est pas tout à fait arrivé. Plus tard, en parlant de l’incarnation : « we all agree that God came as a man – oh, sorry, as a human ! »
Mais là n’est pas le moment le plus intéressant de ces journées. Le meilleur moment, c’est le soir, après le dîner et le temps cultuel partagé, lorsque quelques-uns s’assoient sur les marches devant le bâtiment où nous logeons et étudions la plupart du temps, et discutent.
Voilà Frans, le rubgyman sud-africain tout blond (le premier jour, je n’arrivais pas à reconnaître la langue dans laquelle il parlait, en fait c’est bien de l’anglais mais avec un accent terrible ; pour dire oui il dit « yaaaar »). Il revient de Malioboro et débarque fièrement du taxi en brandissant un chapeau qu’on dit chez nous chinois, celui qu’utilisent les paysans dans les rizières. Il paraît que tout le monde rigolait dans la rue sur son passage et ça le fait rire aussi. Il y a aussi Marlon, cubain filiforme qui fait des blagues approximatives dans un anglais incertain et qui fait rire tout le monde. Il a réussi à enseigner l’art de la danse à Aiko, notre amie indonésienne qui fait actuellement un stage à la Communion mondiale des Églises réformées à Genève et qui s’occupe de la gestion du séjour ici. Elle arrive en riant et applaudit Lia qui chante avec le comité d’accueil, des étudiants de l’université Duta Wacana (l’université chrétienne de Jogja). Le gardien du lieu, en uniforme, tire les grilles devant l’entrée sans les fermer : les retardataires mettront du temps à rentrer. Voilà un jeune couple tout émouvant (ils se sont rencontrés ici) qui revient de manger une glace au magasin du coin. Il y ont croisé, disent-ils, Fernando, l’ami américain, qui se balade toujours avec une gourde transparente plein d’eau tirée des bonbonnes qui sont amenées tous les jours avant notre réveil.
Voilà une partie de l’équipe des cuisiniers, en scooter. Au moment moment, un autre scooter sort du parking sous-terrain et ils se croisent aimablement. Ici, on conduit à l’envers, enfin de l’autre côté de la route, il faut s’y faire, surtout quand on marche sur le trottoir quasi inexistant. Trois chats sans queue passent en courant et foncent sous un des deux bus. Il y a « the good bus » et l’autre ; le premier a l’air conditionné, l’autre non. Le matin, on alterne. Un criquet fait un atterrissage risqué sur une marche et se fait attraper par une main amicale. C’est celle de Danang, un étudiant d’ici, et la création n’est pas un vain mot pour lui. On a eu une conversation très intéressante sur Jésus révélateur plutôt que révélation de Dieu et il a le regard qui pétille quand je lui parle de l’Oratoire du Louvre. Ces mots échangés semblent parfois surréalistes, surtout quand on ne parle pas la langue de l’autre et qu’on soupçonne des malentendus, mais entre théologiens, on finit par trouver un langage commun : Barth, Levinas, Ricœur.
Sur le fauteuil en train de rire aux éclats, c’est Anita, ma voisine de chambre, qui a célébré le worship ce soir avec Vicky et a conclu la célébration avec un chant gitan : elle est pasteur parmi les gitans en Hongrie, ce n’est pas une mince affaire dans un pays qui préférerait les ignorer. Nos Canadiens, eux, sont en train d’étudier sérieusement à l’intérieur : on a un exposé à faire demain. Voilà Sheela et ses amies qui reviennent d’un petit tour, toujours magnifiques dans leurs saris colorés. Voici la Toyota noire, rutilante, conduite par Brahm (spécialiste du Cantique des cantiques et membre du comité d’accueil), avec un groupe de professeurs revenus de leur dîner. On parle français, quelques mots.
Nelson m’interpelle : « How come you can speak English ? I thought all French people hated to speak English! » Je suis bien obligée d’admettre que c’est un peu vrai. Tous les matins, ce jeune étudiant et futur pasteur indonésien me dit « Bonzjour Madam’ » et je dois dire que son accent s’améliore de jour en jour. Les chats se recarapattent dans l’autre sens et foncent de l’autre côté de la route en évitant un vélo. Ting ting ting, c’est un marchant de soupe au gingembre (sucrée, avec des croûtons, des arachides grillées et des graines de palmier translucides, c’est très bon) qui passe sur son triporteur.
Tiens, ce soir en face il doit y avoir une messe, voilà un prêtre en aube blanche qui porte une Vierge Marie. Des gens arrivent avec des bouquets de fleurs.
Deux autres membres du groupe des Sud-Africains arrivent, tout tranquilles mais très légèrement boitillants, ils sortent d’un massage et racontent comment on leur a marché sur le dos pour les détendre. Tiens, voilà Jonah, du Kenya, accompagné d’une jeune pasteur souriante venue de Gambie, mais j’avoue ne pas me souvenir de son nom... On se sourit quand elle passe la porte. Un petit groupe de théologiens discute devant la grille en se donnant de grandes tapes fraternelles dans le dos, je n’arrive pas à comprendre d’ici s’ils parlent du match de foot de l’après-midi ou du cours sur l’identité réformée qu’on a eu dans la matinée.
Ce soir est un soir comme les autres. Les moustiques rôdent mais ils ne sont ni très nombreux ni très agressifs. La quantité de geckos qui sortent le soir et hantent les plafonds doit y être pour quelque chose. Demain, on visite un temple bouddhiste, le plus grand du monde, dit-on. Il faudra porter un chapeau, il va faire chaud.
Il ne reste plus grand monde sur les marches, tout le monde est rentré se coucher ou finir un assignment pour la semaine prochaine (on a trois dissertations à rendre), assis près du bassin des poissons rouges à côté du routeur de la Wifi. Les grillons chantent, un dernier scooter passe, un chat miaule. Le ciel est plein d’étoiles. Bonne nuit Jogja.  

jeudi 21 juin 2012

Jour 14 - Blague

Question : Quelle est la différence entre un pasteur réformé, un pasteur luthérien et un prêtre catholique ?
Réponse : Ils ont tous le même Dieu.


* * *



Je me demande souvent pourquoi un « instinct chrétien » m’attire fréquemment davantage vers les hommes sans religion que vers les religieux, pas du tout dans une intention missionnaire, mais j’aimerais dire « fraternellement ». Tandis que j’appréhende souvent de prononcer le nom de Dieu devant les gens religieux – parce qu’il me semble sonner faux ici et que je me trouve moi-même un peu malhonnête (c’est pire quand les autres commencent à se servir d’une terminologie religieuse ; je me tais alors et suis accablé et mal à l’aise) – je peux parler tout tranquillement et comme naturellement de Dieu avec des hommes sans religion.

Dietrich Bonhoeffer, Résistance et soumission

mercredi 20 juin 2012

A Great Story (Jour 13)


 C’est quoi l’Evangile pour vous ? Pour être sûrs qu’on parlait bien de la même chose, c’est la question que nous nous sommes posée dans un groupe de discussion.
Il y a des moments, heureusement pas si fréquents, où je me sens profondément agacée par les présupposés théologiques qui servent de fondations à certains discours. Voilà qui m’ennuie : je me sens intolérante et incapable d’écouter l’autre. Mais est-on obligé, en écoutant, d’être d’accord ? Sûrement pas. Alors on peut examiner les raisons de cet agacement pour essayer d’y voir plus clair, peut-être ?
La première chose qui m’agace, c’est d’entendre « the Bible says that... ». Nous avons l’habitude dans notre formation universitaire à l'IPT de prendre de la distance avec le texte, la distance nécessaire pour comprendre comment le texte nous parle avant de conclure sur ce que le texte dit. Dans un de nos cours ici, le court-circuit est quasi systématique. « La Bible dit que... », ça signifie qu’une citation biblique va nous être donnée qui sert à conclure un argument. A l’IPT, nous faisons le contraire : c’est après avoir examiné le texte et ménagé l’espace nécessaire à la réflexion, en ne perdant pas de vue qu’il y a plusieurs hypothèses possibles parmi lesquelles nous faisons un choix, éclairé on l’espère, que nous en tirons une conclusion sur le sens. La prudence est de rigueur... Quand on cite un passage d’un discours de Job pour dire qu’il faut s’occuper des pauvres, on perd de vue la richesse argumentative de ce passage et le fait que dans l’économie globale du texte il est justement là pour être mis en question. Agacée, donc, par la naïveté de certaines lectures, surtout quand on prétend en tirer des leçons de moralité.
La deuxième chose qui m’agace parfois, c’est l’absence de problématisation théologique dans certains cas. Quand on parle de la pauvreté, on est d’accord pour dire que ce n’est pas bien. En gros. Mais en quoi, et de quelle pauvreté parle-t-on ? Est-ce un problème structurel ? Un problème spirituel ? Et si oui, pour qui ? Je suis d’accord pour dire que dans l’immédiateté de la détresse humaine, nous sommes appelés à lutter avec ceux qui souffrent, où qu’ils soient, quels qu’ils soient. Mais je ne suis pas d’accord pour dire que c’est le but ultime de l’Evangile. Parce que là, on ne parle clairement pas du même évangile.
Une des participantes au groupe de discussion a dit par exemple que pour elle, l’important était de partager la bonne nouvelle parce que c’est « a great story », l’histoire de l’amour de Dieu pour son peuple. D’accord, c’est une grande histoire, une belle histoire, une histoire qui aide à vivre. Mais est-ce seulement ça ? A quoi nous appelle Dieu ? Il me semble que la pauvreté n’est qu’une des formes (une des pires) de ce qui aliène l’être humain. Et que l’Evangile consiste à annoncer que l’être humain est délivré de tout ce qui l’aliène. Si on lutte, ce n’est pas pour accomplir le plan de Dieu, mais parce qu’on croit à cette incroyable promesse de la délivrance. Un travail qui n’en finit jamais, parce que dans ce monde le Royaume n’est pas accompli, il est en voie d’accomplissement... Quand on me dit que notre spiritualité nous transforme de telle façon que nous puissions agir dans le monde, j’ai envie plutôt de dire que ce n’est pas notre spiritualité, mais la grâce de Dieu, qui nous donne la liberté d’agir dans le monde. Grâciés, libérés, nous allons à notre tour annoncer la nouvelle de la libération ! Et notre action devient profondément ancrée dans cette promesse. C'est ça qui nous fait agir. 
Peut-être que c’est trop compliqué. Peut-être que ça ne parle pas. Ce qui pose un sérieux problème quand on s’imagine un jour ministre d’une Église... Si je ne sais pas dire ce qu’est l’Evangile, est-ce que je suis vraiment appelée à l’annoncer ? Là encore, décidément, je ne sais pas.
Peut-être que c'est une question de culture. Peut-être que c'est une question de caractère. Peut-être que c'est une question de différence de point de vue. Sûrement tout ça à la fois.
La tentation du silence... cette semaine, je crois que tout le monde la connait. Du point de vue de la dynamique de groupe, ça n’a rien de surprenant, au bout d'une dizaine de jours. Du point de vue académique non plus - on la connait tous, la tentation du silence. Du point de vue d’un certain idéalisme qui voudrait que, parce que nous chantons le matin que nous sommes unis, il nous est donné immédiatement de l’être, ça doit se vivre un peu comme une trahison. Mais du point de vue humain, c’est normal et humain justement. Alors on fait avec. Et quand il se dit malgré tout quelque chose, alors ce quelque chose prend une véritable importance. Et si on se tait ensuite, c’est simplement pour ne pas trahir la vérité de ce moment.


(Photo Endang Koli)

mardi 19 juin 2012

Jour 12 - Une grenouille à la porte


Il y a un proverbe, m’a-t-on dit, dans la région, qui dit que celui qui n’est jamais sorti de son village, de sa culture, est comme « a frog under a coconut shell », une grenouille sous une noix de coco : elle croit qu’elle connait le monde, mais en fait elle ne connait que le plafond et le bout de ses orteils (ça a des orteils, une grenouille ? Il faudra que je vérifie ma métaphore.) Ici, on soulève la noix de coco, voire on l’agrandit ensemble. Hier matin, on était sous une calebasse. Le « worship » du matin était mené par trois Africains et nous avons chanté et célébré la parole de Dieu dans langue inconnue, avec des gestes inconnus. Deux fois par jour, matin et soir, nous nous rassemblons ainsi pour un temps de partage avec des mots que nous ne comprenons que rarement, parce qu’ils sont dits autrement. Est-ce que ça parle ? Parfois, oui. Paradoxalement. En tout cas c’est un moment privilégié, hors du temps.
Ensuite, les journées s’agitent, ce sont nos neurones qui travaillent. Je me dis ces jours-ci que si la littérature peut se définir, comme on dit en anglais, comme ce qui exigence « a suspension of disbelief » (la mise en suspens de l’incroyance, afin de croire ou d’adhérer à un monde fictif), alors la théologie peut peut-être se définir comme « a suspension of belief ». Pour parler ensemble de théologie, il faut réfléchir en systématiciens et suspendre notre système personnel de croyance pour envisager autre chose. Quand c’est radicalement autre chose, ça pose parfois problème. Je réalise par exemple à quel point la théologie enseignée à l’IPT est beaucoup plus vaste que la seule théologie de Calvin. Quand on me parle de sanctification et de réconciliation, j’ai du mal à faire entrer ça directement dans mon cadre conceptuel ; de même, une théologie de la croix qui insiste sur la souffrance humaine comme miroir de la souffrance du Christ me pose problème quand elle n’est pas plus problématisée que ça. La théologie de la croix de Luther après Paul me parle trop, et de façon vivante, pour que j’accepte facilement d’en lâcher les présupposés pour entendre autre chose ; quelquefois, j’en suis presque à me demander où est la bonne nouvelle dans tout ça. Mais c’est en ce lieu de difficulté existentielle que se posent les vraies questions.
Ici, nous évoquons beaucoup la théologie de la libération, et la théologie de la création. Ce matin, on a parlé de la dette du Tiers Monde (théologie de la dette écologique, qui veut que c’est le Nord qui est en dette envers le Sud pour son exploitation des ressources communes – un Américain a fait une discrète allusion au fait qu’on était peut-être un peu marxistes sur les bords en disant ça). Pour certains Occidentaux, cela soulève des questions qui semblent tout à fait naïves (pourquoi les pays du Sud ne mettent pas en place des lois pour parer à l’exploitation des ressources et ne pas se laisser piller?). Pour certains, le respect de la création est une catégorie qui ne se questionne pas (alors que je me pose la question de savoir ce qui fait la différence entre nature et création). Pour moi, il reste une vraie frustration à ne pas revenir aux textes, ou seulement en survol, en extrayant ici ou là un verset ou un autre. Là, je réalise que notre formation à l’IPT est particulièrement solide, l’exégèse que nous pratiquons est exigeante et fouillée : pas de naïveté possible de ce côté-là, autant qu’il soit humainement possible...
Mais il y a des leçons d'humilité à prendre : ici, la plupart des participants connaissent et/ou ont lu Ricœur, Barth, Tillich, parfois Derrida, et même (très rarement certes) Lacan. Et ils connaissent tous la théologie contextuelle, et pour le plus grand nombre la théologie de la libération, donc. Là, il y aurait peut-être quelques fenêtres à ouvrir plus largement par chez nous. J’ai eu vent de concepts étonnants élaborés par certains dans ce contexte : la théologie de la porte par exemple, qui consiste à ouvrir des portes entre les disciplines tout en les pensant contigues et pas nécessairement complémentaires (je crois qu’il s’agit de savoir comment ouvrir la porte et comment la refermer, mais je ne parle pas indonésien et les subtilités, hélas, m’échappent). Penser à travers le mur : c’est une idée intéressante.
Souvent, il y a chez les participants une exigence de réflexion du côté d’une véritable praxis. Qu’est-ce que ça veut dire, pour l’ici et maintenant, dans un ministère, dans un contexte donné, ce qu’on étudie ? En quoi ça change vraiment les choses de penser ce qu’on pense ? Qu'est-ce qu'on peut en faire, concrètement ? Cette exigence, nous ne l’avons pas de façon aussi urgente. Là encore, ça relève sans doute d’une tradition théologique différente mais ça interroge, ça fait bouger de voir cette réflexion qui s’élabore collectivement.
Et puis il y a des gens dont j’aimerais vous parler mais je ne le ferai pas : il y a des confidences qui ne se partagent pas (et pourtant mes camarades restés en France y arrivent sur ce blog, qui savent parler de leurs visites pastorales en évoquant, plus que la personne, l’émerveillement de la rencontre et la profonde signification qui s’élabore pour eux, les visiteurs, au moins autant que pour les visités : quand la grâce survient...).
Ah oui, la grâce, parlons-en ! On n’en parle pas beaucoup ici. Par contre on parle beaucoup du « Holy Spirit », dans une déconnexion déconcertante de toute christologie. Il faudrait que j’examine d’un peu plus près encore cette question de la pneumatologie abordée cette année en séminaire de systématique, décidément. J’ai dû laisser passer des choses... Mais là, « I’m thinking on my feet » (je pense sur mes pieds), ou « off the top of my head » (du dessus de ma tête) – deux belles métaphores qui renvoient au fond à un texte souvent utilisé pour nos temps de célébration, celui sur le corps unique composé de plusieurs membres. Tous les membres sont impliqués dans la pensée collective !

lundi 18 juin 2012



Temps vertical et autres considérations

Ah, les visites !

De prime abord cela m'apparaissait comme une survivance réformée, un ciel de traîne de la notion de "cure d'âme" des siècles où le pasteur se pensait comme le berger de ses ouailles.
Mais j'ai découvert que ce temps des visites, qui pouvait sembler investi de manière "non rentable", cela nourrissait mon quotidien de rencontres extraordinaires... avec des gens ordinaires pourtant.
Une des plus étonnantes de ces rencontres, est celle que je vis depuis une semaine avec madame M.
J'ai pris l'habitude de lui rendre visite presque tous les jours, en début d'après midi.

Le rituel est devenu classique : Je toque, madame répond "entrez !".
Je me présente :
 _" Bonjour, je suis Christophe, le pasteur".
_"Bonjour, Monsieur , vous êtes qui ?"
_ "Christophe,... Christophe Collomb" ( parce que je sais qu'elle se souvient vaguement de moi par ce moyen mnémotechnique).
"Vous savez, je suis venu l'autre jour avec Martine , Martine T., la fille de Monsieur T. ?"
_ "Ah oui, Martine, son papa, il est gentil ...Christophe Collomb ?!"
  
 
Et puis nous rentrons en conversation. Madame M. est très malentendante, et j'ai appris à parler fort et faire des phrases courtes.
 _ "Elle est belle votre plante...elle a repris des couleurs...vous voulez que je lui donne de l'eau ?"
_"C'est gentil... Vous, vous êtes affectueux...,". Elle a des mots inattendus parfois.

Puis les idées s’enchaînent avec une apparente incohérence, passant des chats sur les photos qui auraient trop de poils ... à sa mère qui est une bonne musicienne...et son mari qui ne veut guère sortir pour se promener.
     
Madame M. vit seule depuis longtemps. Ses parents, son mari sont décédés depuis des lustres.  
Et d'aucun dirait qu'elle perd un peu la tête. Mais pour moi, il me semble que sa représentation du temps est simplement verticale; contractée. Et le cheminement de sa parole suit tantôt un schéma très cohérent d'association d'idées, tantôt le balayage de son regard. Et elle passe de l'un à l'autre selon son gré. S'il l'on est à son écoute, les propos de madame M. sont en fait constamment logiques.
 
Et puis il y a cette mémoire du cœur qui subsiste :  une succession de Kairos, réactivés par l'émotion passagère, . Comme si les éléments de chronos qui valait la peine dans a vie, avaient mutés en Kairos.
 
Madame M. conserve également une vue extrêmement perçante :
Je lui dis : "Vous avez vu, ils ont fauché l'herbe dans le jardin".
Madame M. acquiesce de la tête, puis d'un seul coup ,
  _ "Les papillons, ils vont rentrés" ?
Je me retourne et aperçoit à 10 mètres deux papillons de couleurs feu et bistre. Madame M. tend son regard jusqu'à eux. Dans le flot de ses mots chevrotants, je l'entends dire distinctement :
_ "vous voyez...Ils sont gracieux !"
 
Je suis émerveillé de la délicatesse furtive de cette vieille mamie recroquevillée sur son siège médicalisé. Elle est comme ça , madame M. : pleine de grâce et de fulgurances par delà l'usure du corps et du cerveau.

Comme c'est maintenant de coutume, on chante deux ou trois cantiques de sa jeunesse. On rit. On se tient la main. Et puis je prends congé, en disant que je reviens demain...en sachant que demain sera à nouveau vécu comme la rencontre avec un inconnu :
_ "Bonjour Monsieur, Vous êtes qui ?"
 
C'est bien vrai, ça ...Je suis qui, Seigneur ?  
Mais est-ce que c'est si important de le savoir ?

CH


Jour 11 - Hier, Church and Shopping; aujourd'hui, retour en cours


Dimanche à nouveau (une semaine déjà!). Hier matin, nous allions dans une Église du centre-ville de Yogyakarta et si j’en crois son architecture et l’inscription au-dessus de la chaire, il s’agit d’un bâtiment datant d’avant l’indépendance, du temps de la colonisation hollandaise. Ce fut un culte beaucoup plus classique que la semaine dernière, pour moi du moins. Pas de chorale, pas de caméra pour retransmettre l’image du pasteur en chaire, pas de danses. Enfin si, une chorale, celle des enfants, des bouts de chou de 4 à 6 ou 7 ans à la voix claire et au grand sourire. Juste devant moi, il y avait un petit garçon fasciné par ces autres enfants et qui, tout intimidé, a refusé le bout de papier et le crayon que je lui tendais pour passer le temps pendant le sermon... mais sa grand-mère en a profité pour inscrire dessus son prénom, « Daniel ».
C’est un de nos professeurs du GIT, celui du cours sur « Creation and Disaster », qui donnait la prédication aujourd’hui, sur Néhémie 1,1-11, l’histoire du mur. Comme il a eu l’amabilité de traduire en partie ce qu’il disait, nous avons pu comprendre qu’il s’agissait pour lui d’actualiser en parlant des murs de l’Eglise, où bientôt aura lieu l’élection des nouveaux anciens (conseillers presbytéraux, on dirait chez nous) et apparemment, on ne se bouscule pas au portillon pour faire acte de candidature. Petit aperçu de l’ecclésiologie et des difficultés d’une Église ordinaire... où faire partie des murs ne signifie pas forcément en tirer des conséquences pratiques pour le service à la communauté, si l’on en croit cette prédication.
Ensuite, c’était temps libre pour tout le monde et tout le monde, en ordre plus ou moins dispersé, s’est dirigé vers le quartier historique et commerçant de Malioboro. Le soir, tout le monde était très coloré (le batik c’est beau) et ravi.
Ce matin c’était le retour aux cours, éthique d’abord, avec une revue des christologies issues de la théologie de la libération. Lors d’une table ronde ensuite s’est posée la question : peut-on connaître Dieu autrement qu’à travers le Christ ? Rappelons que pour un bon nombre d’entre nous, c’est une question essentielle : quand on vit dans un contexte où le dialogue inter-religieux est impossible, même s’il reste l’horizon espéré, poser la question du salut des autres est vital, on ne peut pas y échapper. Mais face à la diversité des images du Christ que nous avons examinées ensemble (dans cette zone d’incertitude que l’on peut définir comme celle qui sépare Jésus du Christ et où on peut tout imaginer en termes de représentation : le Christ comme travailleur opprimé, comme femme, comme guérisseur, comme arc-en-ciel qui met fin à la pluie, comme combattant pour la paix, comme esprit de lumière, comme homme du ghetto...), à partir de quel moment peut-on dire qu’une représentation est hérétique ? Je me demande si ce besoin, profondément anthropologique, de s’approprier une image du Christ est vraiment la clé de la bonne nouvelle de l’Evangile. L’Evangile ne peut-il vraiment se dire qu’à travers des images de nous-mêmes ? Est-ce que ce n’est pas seulement une façon de se l’approprier, d’en gommer la subjectivité qui est la marque de l’incarnation, en un temps et un lieu donnés ? Je me demande si au fond, le besoin de changer l’identité de Jésus pour la rendre plus proche de nous n’est pas nier, paradoxalement, l’universalité de la condition humaine : nous sommes tous pareils d’être tous différents... Et le Christ est différent de nous s’il est humain, singulier...
Ceci dit, il reste à articuler ça avec ce que je disais hier, sur cette identité profonde qui nous est donnée, à tous, par Dieu. C’est compliqué, la théologie. Ca bouge tout le temps. Quand on enlève une brique ici, tout l’équilibre vacille et il faut reconstruire autrement.
Aujourd’hui, on a pu avoir le sentiment qu’on ne construisait pas ensemble, mais que des voix singulières essayaient d’apporter leur propre pierre à un édifice qui n’avait pas de place pour elles. Ca aussi, c’est de la théologie. Faire de la place à toutes les pierres. Peut-être. Au fond, je ne sais pas.