Ce
matin, nous avons fait ensemble la synthèse du séminaire sur la vocation qui
nous a occupés ces quatre derniers jours à Paris. Nous avions à notre
disposition une liste de questions proposées par nos professeurs, libre à
chacun des groupes de traiter une de ces questions en profondeur.
Première
question, « quel changement dans votre vie est provoqué par l’appel de
Dieu en Jésus-Christ ? », selon la formulation barthienne. Un groupe
s’est attaqué à cette question, pour dire que le changement, c’est d’abord de
reconnaître la vocation. Pour le petit Samuel par exemple, il y a une question
de temps : ça prend du temps de la reconnaître, de la comprendre. Ensuite,
il s’agit d’en rendre compte, pour soi, mais aussi autour de soi, car cette
vocation change ce qu’on a été jusque-là. C’est une prise de risque que de
rendre compte de cet appel. La vocation, c’est finalement prendre conscience de
façon forte de l’amour de Dieu pour soi, et de cette prise de conscience
découle un engagement, celui d’être témoin. En quelque sorte, on reconnaît la
vocation chrétienne à ce qu’elle change l’homme en témoin, elle l’engage tout
entier, et toujours.
Deuxième
question : « la vocation est-elle appel de Dieu ou réponse à
Dieu ? ». Deux groupes ont répondu à cette question. Pour le premier,
si nous croyons à un Dieu vivant, alors la vocation est un appel auquel il
s’agit de répondre. Prudence cependant, car la psychologie a montré qu’on pense
faire des choix de façon rationnelle, alors que la plupart du temps, nous
inventons après coup des raisons qui auraient motivé nos choix. Ce qui motive
profondément un choix, c’est soi en fonction d’un futur qu’on imagine, soit en
fonction d’une loi qu’on se donne. Là, le problème est qu’il s’agit d’une
affaire de foi, et tout l’enjeu pour la dogmatique chrétienne est bien de
penser un Dieu vivant de façon systématique. Pour le deuxième groupe, il y a
une vocation à la vie qui précède toute autre vocation : l’être humain qui
vient au monde a une vocation à vivre. Quant aux autres vocations, comment
savoir qu’elles sont adressées par Dieu ? Comment faire avec
l’incarnation, qui impose de penser que nous ne pouvons penser cet appel que
dans des catégories contextuelles ? Le bourreau du Moyen-Âge pensait lui
aussi répondre à une vocation en exécutant la justice. En revenant aux textes
bibliques, notamment l’envoi des disciples (Mc 6 par exemple), on note que si
l’appel à la suivance est adressée à des individus uniques, l’envoi est un
appel qui pousse vers l’ailleurs en vue de guérir et de proclamer, en
communauté (ils ne sont pas envoyés un par un mais deux par deux : on ne
vit pas sa vocation seul), sans compter sur ses propres forces mais en se
risquant toujours. Notons d’ailleurs que les disciples y comprennent rarement
grand-chose, qu’ils sont la plupart du temps évangélisés plutôt
qu’évangélisants, et que si nous pouvons avoir une certitude d’après les textes
bibliques, c’est qu’en tant que disciples on a toutes les chances de se tromper
à la fois sur celui qui envoie, sur le contenu de l’envoi et sur les véritables
raisons qui nous font partir !
Troisième
question : « quelqu’un vous demande ce que vous pensez du fait que,
chrétien, il travaille dans une société qui fabrique des armes ; que
faites-vous en ce cas avec l’interprétation luthérienne
Beruf-Berufung ? » Rappelons que pour Luther, le métier (Beruf) est
une réponse valable à la vocation (Berufung). Le premier groupe qui a traité
cette question a rappelé que dans notre monde actuel, la conception que Luther
se faisait du travail ne pouvait plus avoir cours : dans un monde où règne
la précarité et le chômage, il est impossible de vivre une vocation dans le
travail, puisque cette vocation supposerait la liberté de créer. Le travail
n’est plus quelque chose qu’on puisse considérer comme créateur dans un monde
créé. La tâche des Églises serait alors d’apporter une spiritualité à notre
monde et de réveiller les consciences anesthésiées. Le deuxième groupe a
souligné que la question de savoir si tout travail était acceptable pour un
chrétien est une question éthique pour laquelle on ne peut poser de normes. La
clé de la réflexion se situerait alors du côté d’une interrogation sur la
finalité du travail : cette finalité risque-t-elle d’être pervertie ?
Quatrième
question : « comment reconnaître la vocation ? » Elle a
éveillé beaucoup d’espoirs parmi les participants, espérant enfin une réponse
claire ! Mais c’est une problématisation qui seule est possible. Il s’agit
de savoir si la vocation interne peut être reconnue extérieurement par des
critères objectivants. Le récit de soi permet de réfléchir à la vocation
interne. Un autre critère, celui de la capacité, peut permettre de trancher.
D’où la question des mœurs du ministre : les pasteurs doivent-ils être des
modèles, des exemples ? Cela ne risque-t-il pas d’enfermer le pasteur dans
un rôle qui le coupe d’une humanité « ordinaire » ? Quelles
sont, au fond, les qualités indispensables ?
Cinquième
question : « la vocation pastorale est-elle spécifique ou comprise
dans la vocation chrétienne ? » Dans ce groupe, deux tendances se
sont dégagées. Les uns posaient que le pasteur était un être à part, puisqu’il
était appelé par l’Eglise, elle-même missionnée par l’Esprit, à administrer les
sacrements : il faut donner du poids à une fonction telle. Les autres se
refusaient à donner autant de poids à la vocation ministérielle, source d’un
risque d’abus de pouvoir mettant en danger la reconnaissance de la vocation
spécifique de chacun. Le pasteur est-il une figure d’autorité propre à
maintenir l’ordre d’une communauté donné, ou n’a-t-il d’autre rôle que
l’édification sans souci de diriger ?
On le
voit, les polarités se sont dessinées, selon les origines ecclésiales, les
tendances théologiques, les parcours personnels de chacun. Ces quelques jours
ont permis, sinon de trouver des réponses, du moins de constater qu’en matière
de vocation, nous sommes toujours en quête de sens. Peut-être faut-il surtout
ne jamais oublier qu’un appel est lancé et qu’oublier la source de l’appel,
c’est vouloir se faire propriétaire de sa vocation, oublier la source du don
premier de la grâce. L’horizon se dessinerait alors du côté d’un impératif
paradoxal : toujours attendre l’inattendu ! C’est dans ce clair-obscur
que l’appel de Dieu, encore et toujours, est lancé et sera entendu, parfois,
comme une vocation...
PRG
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