Dans
le cadre de l'atelier d'exégèse dont les travaux portent cette
année sur les "textes impossibles" de la Bible, nous avons
fait une incursion cette semaine dans une problématique connexe qui
concerne les stratégies de lecture. Quel peut être aujourd'hui
l'apport de l'archéologie pour l'exégèse biblique du Nouveau
Testament ? Daniel Gerber, professeur à Strasbourg, a ainsi évoqué
avec nous son expérience d'exégète qui choisit de se confronter
aux découvertes archéologiques dans la ville de Corinthe. Nous
savons que Paul s'est rendu dans cette ville et qu'il a entretenu une
correspondance avec l'Eglise corinthienne dans les années 50-60.
De
fait, beaucoup de touristes viennent en "pèlerinage" sur
les traces de Paul dans l'ancienne Corinthe. On peut comprendre cette
fascination pour les lieux qui ont vu naître le christianisme et
l'émotion qui peut naître d'être "là où ça s'est passé".
Mais
il y a de mauvais usages de l’archéologie. Trouver une pierre
portant une inscription évoquant une synagogue en plein centre de
l’ancienne Corinthe ne signifie pas forcément qu’il y avait, là
précisément, une synagogue, ce serait une conclusion hâtive. Dans
une région à l’activité sismique importante et une culture où
les pierres étaient régulièrement réutilisées dans les
constructions successives, il faut être beaucoup plus prudent. De
même, tirer de l’architecture des villas de la population la plus
aisée la certitude que la première communauté chrétienne se
réunissant dans des maisons particulières, c’est risquer de tirer
des conclusions d’un fait qu’il faut peut-être relativiser :
d’autres lieux existaient sans doute. Il faut réexaminer les
textes à la lumière des découvertes archéologiques actuelles pour
mieux en saisir les enjeux. En découvrant qu’il existe plusieurs
hypothèses possibles, il
ne s’agira plus alors de comprendre précisément quel type de
maison est désigné par le texte mais d’ouvrir les compréhensions
possibles du texte.
Mais
l’archéologie est parfois aussi un apport déterminant pour
l’exégèse. C’est ainsi que la découverte à Delphes du temple
d’Apollon (celui-là même où la Pythie s’exprimait en langage
codé et où les fidèles devaient payer pour le décodeur,
c’est-à-dire les prêtres, comme le décrivait Daniel Gerber) a
permis de mettre au jour des inscriptions sur un mur. Ces
inscriptions seraient un genre de livre d’archives évoquant
notamment le rachat d’esclaves par le dieu Apollon. En réalité,
cela recouvre une réalité complexe : les esclaves pouvaient
s’ils en avaient les moyens racheter leur liberté à leur maître.
La somme était versée, non pas au maître directement, mais donnée
symboliquement à Apollon qui rachetait ainsi l’esclave et lui
donnait la liberté. Lorsque Paul évoque en 1 Co 6 et 7 le
« grand prix » par lequel les convertis ont été
rachetés, il fait donc résonner le vocabulaire technique qui, pour
les esclaves et les affranchis, touchait à une réalité très
immédiate. Elle n’est plus la nôtre aujourd’hui, mais la trace
dans le texte de la profondeur existentielle de cette thématique
nous permet, si nous en saisissons mieux les enjeux chez les premiers
chrétiens, de comprendre ce qu’il en est aussi pour nous.
Le
dialogue entre archéologues et exégètes est donc fécond pour les
exégètes. Quant aux archéologues confrontés, parfois avec un
certain amusement, à des visiteurs en recherche de « l’ADN »
de Paul et de ses compagnons, cela leur permet peut-être de mieux
resituer les enjeux de leur recherche pour ceux qui poursuivent un
tout autre but.
A
écouter ces histoires, nous avons pu mesurer à quel point
l’intelligence de la foi est toujours un pari et que, parfois, elle
donne à la foi elle-même une profondeur qui serait restée
insoupçonnée sans ce détour inattendu.
PRG
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