Je pense que nous sommes
nombreux à avoir arpenté les quais des gares ces derniers temps…
Pour Noël, on court souvent retrouver ses proches, sa famille, et
c’est justement ce que j’ai fait, il y a de ça quelques jours…
En repartant de mon pays
natal, j’avais une heure à perdre dans une gare, rien à faire
pendant une heure. Dit comme ça, l’idée parait plutôt
séduisante, ne rien faire pendant une heure… Mais finalement, la
foule qui foisonnait autour de moi fut plus forte que ma paresse et
l’heure à ne rien faire se transforma en heure de spectacle.
Assise par terre sur mon sac de voyage, je n’avais qu’à ouvrir
les yeux et écouter, pour comprendre à nouveau la puissance de
l’Evangile. Si, si j’ai bien parlé de la puissance de
l’Evangile ! Vous allez comprendre…
Tout commença par ce
charmant petit tableau de vie : deux vieilles dames chapeautées
et gantées s’avançait élégamment vers le tableau d’affichage de
départ des trains:
« - Quai E,
regardez Mademoiselle M***…
-Oh chère amie, je vous
remercie. Sans vous je n’aurais pas trouvé…
-RAK POUFF ! »
Cette saynète assez
désuète, mais au demeurant sympathique, fut perturbée par ce bruit
de crachat. Instinctivement, j’ai alors tourné la tête et vu un
ado. Sans surprise celui-ci commença à râler après sa mère :
« mais c’est trop badant d’aller chez ta mère, m’man… »,
la mère désabusée dirigea son regard vers un tas de valises et de
skis derrière lequel se cachait probablement le père :
« Chéri, fais quelque chose je n’en peux plus… » Et
c’est ainsi que j’ai entendu, pour la première fois de ma vie,
parler une montagne de valises : « A****, tu entends,
arrête de faire chier ta mère !!! ». A ces mots, vu la
situation, un fou rire me fit détourner mon regard et une autre
histoire s’offrit à moi : les fameux amoureux ! Ceux-là
n’étaient pas assis sur un banc public, mais ils avaient une
« gueule bien sympathique » ! Leur bonheur se
lisait dans leurs yeux… Ils sont toujours présents ces amoureux
dans les gares. On ne sait pas où ils vont, s’ils seront encore
ensemble d’ici un an ou deux, s’ils se quittent ou se retrouvent…
La seule certitude que j’avais en les voyant à cet instant précis
de leurs vies, c’était leur joie d’être ensemble !
Soudain une odeur de
parfum sucré et très présente me fit sortir de cette ambiance
romantique : c’était celle d’une femme d’une cinquantaine
d’année, maquillée de couleurs vives, toute vêtue de léopard.
Elle marchait avec ses talons aiguilles de long en large en cherchant
sans avoir l’air d’attendre réellement quelqu’un… et
surprise ! Un jeune homme cravaté, tiré à quatre épingles,
s’avança vers elle : « Maman… allez viens ! ».
Cette mère et son fils semblaient très différents en apparence,
rien ne pouvait me faire soupçonner leur lien filial ! Et
pourtant… à l’arrivée de son fils, la femme plutôt vulgaire
qu’elle représentait pour moi jusqu’alors, prit un air nouveau :
celui d’une mère tendre, ravie et fière de revoir son fils…
Puis, vint le passage de
cet énigmatique voyageur. Il existe dans toutes les gares… Il est
difficile de lui donner un âge, de dire aussi ce qu’il pense, s’il
a une famille, une seule chose est sûre, c’est un baroudeur !
Dans son regard, on peut lire l’aisance mais aussi le bien être
qu’il a de se trouver ici, dans ce lieu de transit. Rien en lui ne
paraît extraordinaire ou inconnu, c’est un homme qui vit de
voyages et les attend…
Quelques minutes de rêves
et de voyages plus tard, me voici interpellée de nouveau par deux
autres personnages, avec l’arrivée de deux petits bonshommes,
chapeautés d’un borsalino, moustachus, ce qui leur donnait un
vague air de Popeck… Ils sont passés, sans rien dire, sans
s’arrêter pour attendre un train ou venir chercher quelqu’un.
Ils sont simplement passés sous mes yeux, mais leur présence, leur
allure gentiment comique fait que je les ai remarqués.
A cet instant, après
avoir prêché la veille et l’avant-veille sur la Bonne Nouvelle,
l’arrivée du Christ dans nos vies, la grâce de Dieu qui nous
était donnée par lui, une question envahit mon esprit :
Comment comprendre cette grâce infinie de Dieu face à cette
diversité de modes de vie, d’êtres que m’offrait ce lieu de
voyages ?
Je suis toujours mal à
l’aise quand on me parle de la toute-puissance de Dieu, pour moi
Dieu n’est pas un superman, un magicien ! Mais être dans
cette gare m’offrit une autre perspective, celle d’une puissance
divine qui peut tous nous reconnaitre, nous chercher, nous aimer…
Tous en même temps, la puissance de Dieu nous pouvons la recevoir.
Cette grâce donne un autre sens à nos existences : à l’ado
qui crache par terre, aux courtoises vieilles dames, au solitaire
voyageur, à une mère et à son fils, cette puissance divine vient
offrir à chacun de nous le discernement nécessaire pour nous guider
vers notre unique et véritable chemin de vie. C’est cela qui rend
Dieu puissant, sa capacité à susciter, écouter, diriger, des vies
si différentes et complexes…
Comme dans une gare, nous
pouvons répondre à cette puissance divine à notre manière :
certains prendront le temps de la réflexion pour répondre,
anticiperons leur « départ » pour dialoguer avec Dieu.
D’autres, les inconditionnels pondérés, « maître du
temps » arriveront à écouter Dieu et à lui parler dans les
temps. Sans jamais prendre le risque de rater l’occasion. D’autres
répondront à la dernière minute, comme lorsqu’on saute du quai
sur la première marche du train, avec toute l’excitation et le
risque de rater son train, que cela représente.
Heureusement dans cette
histoire de voyage vers Dieu, il n’y a pas d’heure juste,
parfaite pour arriver ou pour repartir…
AP