Mois
après mois, l’ambiance d’étude s’infuse dans les esprits. Si
le travail est celui de chacun, l’étude est volontiers dialoguée,
confrontée ; c’est vraiment dans ces moments de parole et
d’écoute, les uns formels, ce sont les cours, les autres
informels, et c’est tout le reste, c’est dans ces moments de
parole et d’écoute que l’on progresse ; il faut saluer la
disponibilité de chacun, enseignant ou étudiant, à ces échanges
avec chacun de nous. On pense à ces universités anglaises, où le
professeur coache un ou deux étudiants, sous la lampe, dans de
profonds fauteuils, et derrière des fenêtres assourdies par des
rideaux, sauf qu’ici, c’est parfois encore dans le jardin, au
soleil ou sous les arbres, sur les bancs et les tables, entre salles
de cours et bibliothèque, ou encore à la salle de l’Amicale, avec
ses canapés et sa bouilloire.
Après
les élections à l’Amicale et aux diverses commissions, les
équipes se rôdent ; c’est la démocratie protestante, avec
ses usages et ses moments obligés ; c’est un apprentissage à
part entière ; bientôt, dans conseils et synodes, les
étudiants revivront ces moments de débats argumentés mais toujours
policés.
Tous
les rythmes de présence existent, les pensionnaires et les
sessionnaires, les temps partiels et les internet, les habitués et
les oiseaux de passage, comme les flamants roses sur les lagunes à
deux pas d’ici. Toutes les cultures aussi : accueil
d’enseignants, mais aussi d’étudiants, d’autres facs,
protestantes ou catholiques, françaises ou européennes. Parmi les
débutants, ce n’est qu’une impression, une large fraction n’est
pas initialement de culture protestante.
On
jargonne peu dans ces conversations, parfois quelqu’un laisse
échapper un mot entendu autrefois, ou lu d’un auteur obligé et
est salué d’un souriant : « Oh, vous, vous utilisez des
gros mots… » précédant un appel à définir simplement de
quoi on parle, et si on se réfère au message de la Bible, d’en
apporter la référence, la citation, et de l’environner de son
contexte. De même, les langues anciennes ne sont pas cultivées pour
elles-mêmes, mais pour l’accès qu’elles procurent à un
supplément de compréhension des textes ; parfois ça diffracte
des nuances insoupçonnées, bonheur pour qui prépare de nouveaux
commentaires.
Nuances,
c’est bien le mot ; rien n’est jamais noir ou blanc ;
les états de la pensée ne sont que des étapes ; on est « en
mouvement », on est en « tension », la réflexion
continue à infuser ; si vous n’arrivez pas à intégrer tout
ça, nous a-t-on dit un jour, ce n’est pas grave, vous êtes en
sciences humaines, ce n’est pas comme ces sciences dures où si on
loupe une étape de la démonstration le fil du discours est perdu,
ici on décrit des climats d’idées par touches successives, si
vous n’intégrez pas tout le tableau aujourd’hui, il se dessinera
mieux une autre fois, quand on reprendra indirectement ou directement
le même sujet.
Les
mots d’aujourd’hui, les sciences de l’homme aujourd’hui, pour
lire des problématiques de tous les temps ; les apports de la
critique historique, de la psychanalyse en ce qu’elle aide à
analyser le tréfonds des mythes les plus anciens de l’humanité,
de la psychologie, tout cela pour apprendre à dialoguer avec nos
contemporains dans leur bonheur ou leur souffrance, avec notre
fragilité, nourris seulement de la perspective que ces paroles
échangées les accompagnent dans leur chemin de vie, et les mettent
à l’écoute d’un autre comme nous voulons l’être nous-mêmes.
Il
y a deux mille ans, de braves gens, le plus souvent sans éducation,
abasourdis par la mort de celui dont la parole leur avait ouvert des
horizons radicalement nouveaux, ont été éblouis par la certitude
que cette parole ne pouvait pas ne pas continuer à cheminer avec
eux ; ils en ont répandu la nouvelle ; c’est ce moment
dont se transmet ici l’écho, avec la ferme assurance qu’il se
reproduit, de génération en génération, avec la même nouveauté.
GC
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