Pourquoi
lire les passages de la Bible qui sont illisibles et de temps en
temps indigestes ? La question se pose, car il y en a, des passages
comme ça ! Fréquemment, on entend par exemple des gens évoquer des
passages cruels de l’Ancien Testament, souvent suivis par une
apologie maladroite qui essaye de relativiser : «
oui, mais c’était
une culture moins développée
». Ou même une apologie qui met
en avant le Nouveau Testament, basée sur l’idée fausse que le
Nouveau Testament soit supérieur à l’Ancien Testament et ainsi
‘couvre’ la cruauté de ce dernier.
Moi,
ça m’arrive aussi de trouver dans le Nouveau Testament des
passages que je digère mal. Expérience très récente pendant le
cours d’exégèse, où on lit la première épître de Pierre :
celle avec l’appel à la soumission des femmes et des domestiques.
J’éprouve dans ce texte un sectarisme insupportable, et j’ai
l’impression que pour manipuler ses lecteurs, l’auteur joue sur
la peur que les premiers chrétiens doivent avoir eu vis à vis une
société qui leur était hostile. Ce sectarisme me fait me révolter
contre le texte et, franchement, je refuse de m’y identifier. Je
repose donc ma question : pourquoi lire des passages indigestes ?
Première
raison hypothétique : peut-être parce que le texte me touche,
fusse-t-il de façon hostile ? Evidemment, il n’y a pas de monopole
de la lecture. Notre professeur nous propose une lecture beaucoup
plus bienveillante que la mienne. Par exemple, elle suggère que dans
l’idée de soumission même on peut trouver une force libératrice,
en soulignant que dans le mot ‘soumission’, il y a le mot
‘mission’. Je respecte beaucoup notre prof et aussi ceux qui
apprécient cet teinterprétation, mais je trouve cette lecture pas
convaincante du tout. Ça me rend même assez cynique et à la
limite, la bienveillance envers cette épître m’énerve.
Néanmoins, l’émotion avec laquelle je lis le texte montre bien
que je suis en relation avec lui. Une relation tendue, certes, mais a
priori une relation pas moins réelle que celle des amateurs de
l’épître.
À
part le contenu, voici ma deuxième raison : peut-être qu’il y a
aussi des motifs littéraires pour continuer à lire ces passages.
Pendant notre travail de traduction et d’exploration lors des cours
d’exégèse, on s’émerveille de ses richesses rhétoriques et
artistiques. Comme des chasseurs de trésor bienheureux, on trouve à
chaque instant de nouvelles surprises, références et inventions
littéraires. Oui, paradoxalement, j’aime beaucoup l’immense
beauté du texte.
C’est
ça donc, une relation intense mais cynique et l’appréciation pour
la qualité littéraire expliquent-elles que je n’abandonne pas ces
passages durs ? Je ne m’en sors pas. Et je pense intuitivement à
un poème de Rutger Kopland, poète et psychiatre néerlandais qui
est mort récemment. Je sais, on ne peut pas vraiment traduire la
poésie sans la détruire, mais voici quand même une tentative,
juste pour vous donner une idée :
Les verts pâturages, les
eaux paisibles,
je les ai cherchés et
effectivement
trouvés, ils étaient encore
plus jolis
qu’on m’avait promis,
splendides.
Et dans ce paysage doux, le
fils
du créateur, cloué à un
arbre,
mais aucune trace de violence
ou de résistance, seulement
de la paix, du repos.
Ses yeux vides regardent le
paysage,
autour de sa bouche des
questions éternelles,
pourquoi donc, qui es tu,
t’étais où, etc.
Sans reproches, il a
forcément dû savoir
ce qui allait se passer.
Je n’ai pas de réponse.
Fabian
Keijzer, Montpellier le 5 novembre 2012
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