vendredi 22 mars 2013

Les pierres et Paul

Dans le cadre de l'atelier d'exégèse dont les travaux portent cette année sur les "textes impossibles" de la Bible, nous avons fait une incursion cette semaine dans une problématique connexe qui concerne les stratégies de lecture. Quel peut être aujourd'hui l'apport de l'archéologie pour l'exégèse biblique du Nouveau Testament ? Daniel Gerber, professeur à Strasbourg, a ainsi évoqué avec nous son expérience d'exégète qui choisit de se confronter aux découvertes archéologiques dans la ville de Corinthe. Nous savons que Paul s'est rendu dans cette ville et qu'il a entretenu une correspondance avec l'Eglise corinthienne dans les années 50-60. 
De fait, beaucoup de touristes viennent en "pèlerinage" sur les traces de Paul dans l'ancienne Corinthe. On peut comprendre cette fascination pour les lieux qui ont vu naître le christianisme et l'émotion qui peut naître d'être "là où ça s'est passé".
Mais il y a de mauvais usages de l’archéologie. Trouver une pierre portant une inscription évoquant une synagogue en plein centre de l’ancienne Corinthe ne signifie pas forcément qu’il y avait, là précisément, une synagogue, ce serait une conclusion hâtive. Dans une région à l’activité sismique importante et une culture où les pierres étaient régulièrement réutilisées dans les constructions successives, il faut être beaucoup plus prudent. De même, tirer de l’architecture des villas de la population la plus aisée la certitude que la première communauté chrétienne se réunissant dans des maisons particulières, c’est risquer de tirer des conclusions d’un fait qu’il faut peut-être relativiser : d’autres lieux existaient sans doute. Il faut réexaminer les textes à la lumière des découvertes archéologiques actuelles pour mieux en saisir les enjeux. En découvrant qu’il existe plusieurs hypothèses possibles, il ne s’agira plus alors de comprendre précisément quel type de maison est désigné par le texte mais d’ouvrir les compréhensions possibles du texte.
Mais l’archéologie est parfois aussi un apport déterminant pour l’exégèse. C’est ainsi que la découverte à Delphes du temple d’Apollon (celui-là même où la Pythie s’exprimait en langage codé et où les fidèles devaient payer pour le décodeur, c’est-à-dire les prêtres, comme le décrivait Daniel Gerber) a permis de mettre au jour des inscriptions sur un mur. Ces inscriptions seraient un genre de livre d’archives évoquant notamment le rachat d’esclaves par le dieu Apollon. En réalité, cela recouvre une réalité complexe : les esclaves pouvaient s’ils en avaient les moyens racheter leur liberté à leur maître. La somme était versée, non pas au maître directement, mais donnée symboliquement à Apollon qui rachetait ainsi l’esclave et lui donnait la liberté. Lorsque Paul évoque en 1 Co 6 et 7 le « grand prix » par lequel les convertis ont été rachetés, il fait donc résonner le vocabulaire technique qui, pour les esclaves et les affranchis, touchait à une réalité très immédiate. Elle n’est plus la nôtre aujourd’hui, mais la trace dans le texte de la profondeur existentielle de cette thématique nous permet, si nous en saisissons mieux les enjeux chez les premiers chrétiens, de comprendre ce qu’il en est aussi pour nous.
Le dialogue entre archéologues et exégètes est donc fécond pour les exégètes. Quant aux archéologues confrontés, parfois avec un certain amusement, à des visiteurs en recherche de « l’ADN » de Paul et de ses compagnons, cela leur permet peut-être de mieux resituer les enjeux de leur recherche pour ceux qui poursuivent un tout autre but.
A écouter ces histoires, nous avons pu mesurer à quel point l’intelligence de la foi est toujours un pari et que, parfois, elle donne à la foi elle-même une profondeur qui serait restée insoupçonnée sans ce détour inattendu.
PRG

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