dimanche 11 novembre 2012

Maison d'étude à Montpellier (bientôt deux mois)


Mois après mois, l’ambiance d’étude s’infuse dans les esprits. Si le travail est celui de chacun, l’étude est volontiers dialoguée, confrontée ; c’est vraiment dans ces moments de parole et d’écoute, les uns formels, ce sont les cours, les autres informels, et c’est tout le reste, c’est dans ces moments de parole et d’écoute que l’on progresse ; il faut saluer la disponibilité de chacun, enseignant ou étudiant, à ces échanges avec chacun de nous. On pense à ces universités anglaises, où le professeur coache un ou deux étudiants, sous la lampe, dans de profonds fauteuils, et derrière des fenêtres assourdies par des rideaux, sauf qu’ici, c’est parfois encore dans le jardin, au soleil ou sous les arbres, sur les bancs et les tables, entre salles de cours et bibliothèque, ou encore à la salle de l’Amicale, avec ses canapés et sa bouilloire.
Après les élections à l’Amicale et aux diverses commissions, les équipes se rôdent ; c’est la démocratie protestante, avec ses usages et ses moments obligés ; c’est un apprentissage à part entière ; bientôt, dans conseils et synodes, les étudiants revivront ces moments de débats argumentés mais toujours policés.
Tous les rythmes de présence existent, les pensionnaires et les sessionnaires, les temps partiels et les internet, les habitués et les oiseaux de passage, comme les flamants roses sur les lagunes à deux pas d’ici. Toutes les cultures aussi : accueil d’enseignants, mais aussi d’étudiants, d’autres facs, protestantes ou catholiques, françaises ou européennes. Parmi les débutants, ce n’est qu’une impression, une large fraction n’est pas initialement de culture protestante.
On jargonne peu dans ces conversations, parfois quelqu’un laisse échapper un mot entendu autrefois, ou lu d’un auteur obligé et est salué d’un souriant : « Oh, vous, vous utilisez des gros mots… » précédant un appel à définir simplement de quoi on parle, et si on se réfère au message de la Bible, d’en apporter la référence, la citation, et de l’environner de son contexte. De même, les langues anciennes ne sont pas cultivées pour elles-mêmes, mais pour l’accès qu’elles procurent à un supplément de compréhension des textes ; parfois ça diffracte des nuances insoupçonnées, bonheur pour qui prépare de nouveaux commentaires.
Nuances, c’est bien le mot ; rien n’est jamais noir ou blanc ; les états de la pensée ne sont que des étapes ; on est « en mouvement », on est en « tension », la réflexion continue à infuser ; si vous n’arrivez pas à intégrer tout ça, nous a-t-on dit un jour, ce n’est pas grave, vous êtes en sciences humaines, ce n’est pas comme ces sciences dures où si on loupe une étape de la démonstration le fil du discours est perdu, ici on décrit des climats d’idées par touches successives, si vous n’intégrez pas tout le tableau aujourd’hui, il se dessinera mieux une autre fois, quand on reprendra indirectement ou directement le même sujet.
Les mots d’aujourd’hui, les sciences de l’homme aujourd’hui, pour lire des problématiques de tous les temps ; les apports de la critique historique, de la psychanalyse en ce qu’elle aide à analyser le tréfonds des mythes les plus anciens de l’humanité, de la psychologie, tout cela pour apprendre à dialoguer avec nos contemporains dans leur bonheur ou leur souffrance, avec notre fragilité, nourris seulement de la perspective que ces paroles échangées les accompagnent dans leur chemin de vie, et les mettent à l’écoute d’un autre comme nous voulons l’être nous-mêmes.
Il y a deux mille ans, de braves gens, le plus souvent sans éducation, abasourdis par la mort de celui dont la parole leur avait ouvert des horizons radicalement nouveaux, ont été éblouis par la certitude que cette parole ne pouvait pas ne pas continuer à cheminer avec eux ; ils en ont répandu la nouvelle ; c’est ce moment dont se transmet ici l’écho, avec la ferme assurance qu’il se reproduit, de génération en génération, avec la même nouveauté.

GC

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