mercredi 7 novembre 2012

ROND & CARRÉ #2


Pourquoi lire les passages de la Bible qui sont illisibles et de temps en temps indigestes ? La question se pose, car il y en a, des passages comme ça ! Fréquemment, on entend par exemple des gens évoquer des passages cruels de l’Ancien Testament, souvent suivis par une apologie maladroite qui essaye de relativiser : « oui, mais c’était une culture moins développée ». Ou même une apologie qui met en avant le Nouveau Testament, basée sur l’idée fausse que le Nouveau Testament soit supérieur à l’Ancien Testament et ainsi ‘couvre’ la cruauté de ce dernier.

Moi, ça m’arrive aussi de trouver dans le Nouveau Testament des passages que je digère mal. Expérience très récente pendant le cours d’exégèse, où on lit la première épître de Pierre : celle avec l’appel à la soumission des femmes et des domestiques. J’éprouve dans ce texte un sectarisme insupportable, et j’ai l’impression que pour manipuler ses lecteurs, l’auteur joue sur la peur que les premiers chrétiens doivent avoir eu vis à vis une société qui leur était hostile. Ce sectarisme me fait me révolter contre le texte et, franchement, je refuse de m’y identifier. Je repose donc ma question : pourquoi lire des passages indigestes ?

Première raison hypothétique : peut-être parce que le texte me touche, fusse-t-il de façon hostile ? Evidemment, il n’y a pas de monopole de la lecture. Notre professeur nous propose une lecture beaucoup plus bienveillante que la mienne. Par exemple, elle suggère que dans l’idée de soumission même on peut trouver une force libératrice, en soulignant que dans le mot ‘soumission’, il y a le mot ‘mission’. Je respecte beaucoup notre prof et aussi ceux qui apprécient cet teinterprétation, mais je trouve cette lecture pas convaincante du tout. Ça me rend même assez cynique et à la limite, la bienveillance envers cette épître m’énerve. Néanmoins, l’émotion avec laquelle je lis le texte montre bien que je suis en relation avec lui. Une relation tendue, certes, mais a priori une relation pas moins réelle que celle des amateurs de l’épître.

À part le contenu, voici ma deuxième raison : peut-être qu’il y a aussi des motifs littéraires pour continuer à lire ces passages. Pendant notre travail de traduction et d’exploration lors des cours d’exégèse, on s’émerveille de ses richesses rhétoriques et artistiques. Comme des chasseurs de trésor bienheureux, on trouve à chaque instant de nouvelles surprises, références et inventions littéraires. Oui, paradoxalement, j’aime beaucoup l’immense beauté du texte.

C’est ça donc, une relation intense mais cynique et l’appréciation pour la qualité littéraire expliquent-elles que je n’abandonne pas ces passages durs ? Je ne m’en sors pas. Et je pense intuitivement à un poème de Rutger Kopland, poète et psychiatre néerlandais qui est mort récemment. Je sais, on ne peut pas vraiment traduire la poésie sans la détruire, mais voici quand même une tentative, juste pour vous donner une idée :

Les verts pâturages, les eaux paisibles,
je les ai cherchés et effectivement
trouvés, ils étaient encore plus jolis
qu’on m’avait promis,
splendides.

Et dans ce paysage doux, le fils
du créateur, cloué à un arbre,
mais aucune trace de violence
ou de résistance, seulement
de la paix, du repos.

Ses yeux vides regardent le paysage,
autour de sa bouche des questions éternelles,
pourquoi donc, qui es tu,
t’étais où, etc.

Sans reproches, il a forcément dû savoir
ce qui allait se passer.
Je n’ai pas de réponse.

Fabian Keijzer, Montpellier le 5 novembre 2012

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