mercredi 19 décembre 2012

En quel état...

L'intervenant de ce matin nous rappelait que la théologie chrétienne tentait depuis des siècles de réconcilier cet héritage du droit romain qu'est le concept d'états avec des arguments bibliques. Au coeur de ce débat : les états relèvent-ils de l'ordre de la création ou d'autre chose ? Il y avait dans la société romaine trois types d'état : homme libre/esclave, homme marié/femmes et enfants, magistrat/simple citoyen. Chacun de ces états représentait un engagement particulier. 
Articuler une idée de ces états et les données scripturaires, c'est poser la question de la vocation générale et de la vocation particulière. Un exemple avec 1 Co 7,17-24 que la théologie scholastique a compris comme une allusion à la catégorie romaine des états, chaque état étant voulu par la providence et traduisant un engagement stable vis-à-vis, non pas de la société, mais de Dieu. Ce n'est pas une question de salut (un état donné ne garantit pas le salut en soi), mais une question d'ordre puisqu'il existe une hiérarchie entre les différents états, le clerc se trouvant tout en haut. 
Luther a remis en cause la conception médiévale de la vocation qui découlait de cette interprétation, dans le contexte d'une double polémique, contre les moines d'une part, contre la Réforme radicale d'autre part. Il visait les moines qui se prévalaient de leur statut pour en faire une garantie de salut, ce qu'il dénonçait comme une auto-justification. Il visait aussi ceux qui voulaient conduire la Réforme vers une perfection évangélique entraînant la modification des relations sociales. Il ne renonce donc pas à l'idée d'états pour structurer la vocation, mais il dissocie ceux-ci de celle-là. Dans son commentaire au passage cité, Luther précise que seule la liberté intérieure de la foi compte, rien ne sert de changer d'état. Aussi, on peut être charcutier et vivre une vocation dans cet état, ça ne changera rien au salut. 
Chez Calvin, la vocation est une manière particulière de répondre, par sa manière de vivre, au don de la grâce. Pour lui, c'est en vivant le commandement de Dieu (la loi) que l'être humain trouve sa vocation et c'est ainsi qu'il lui faut dresser sa vie pour qu'elle corresponde à la volonté de Dieu. La vocation est donc le lieu où apprendre la docilité. La loi recommande d'aimer Dieu et le prochain ; si une nouvelle vocation permet de mieux accomplir ce commandement, alors on peut changer de vocation. Calvin a une conception élevée du ministère pastoral. Si la vocation interne reste secrète, la vocation externe est examinée par l'Eglise qui juge de deux types d'aptitudes : les connaissances et la vertu. Ces aptitudes sont des préparations à la vie pastorale, car c'est Dieu qui fournira lui-même au pasteur les armes nécessaires à l'exercice de sa fonction. 
Pour résumer avec l'intervenant, quatre critères se sont imposés après la Réforme pour juger d'une vocation -- et il nous rappelait que ces critères sont utilisés par la commission des ministères à laquelle lui-même appartient. Le désir d'abord, qui permet à la personne de se poser la question de savoir quelle personne il ou elle veut devenir face à la loi de Dieu, pour réaliser sa volonté ; c'est de l'ordre du secret parce que Dieu seul est juge de la conscience des humains. La capacité ensuite, car il s'agit d'être apte à faire ce qu'on désire devenir : c'est aussi la capacité à vivre ce qu'on croit être vrai. L'utilité est également un critère : il doit y avoir correspondance avec ce dont l'Eglise a besoin (chez Calvin, s'il y a un seul ministère, celui de l'annonce de la Parole, celui-ci prend différentes formes). Le quatrième critère, c'est la reconnaissance par les autres ; d'ailleurs après Calvin, les autres c'était le peuple, les paroissiens : ce sont eux qui élisaient directement leurs pasteurs. Si ces quatre critères sont réunis, alors la vocation est confirmée comme étant bien l'appel de Dieu. Il y a donc un équilibre à trouver entre ces quatre aspect. 
Cet après-midi, après avoir exploré la théologie de la vocation, nous abordions la vocation de la théologie. Si la vocation de la théologie est quadruple (ecclésiale, scientifique, missionnaire et civique), comment envisager un modèle formel qui permette à la théologie de contribuer au débat public tout en étant fidèle à sa vocation ecclésiale, scientifique et missionnaire ? Nous avons réfléchi à une vocation de la théologie qui tiendrait à construire avec les autres communautés morales (au sens politique du terme) un socle commun de valeurs permettant un vivre-ensemble dans une communauté donnée, sur le modèle par exemple du Canada (avec la théorie des accommodements raisonnables). Contribuer à la fois au bien commun, à la construction d'une pensée critique et scientifique dans et hors l'Eglise et viser à répandre le message chrétien, serait-ce là la vocation à multiples facettes de la théologie ? 
Demain, nous concluerons ces journées très riches de débats et de discussions, riches nous-mêmes d'approches que nous n'avions pas jusqu'ici formalisées. Car une des vocations de la théologie, ça doit bien être, en effet, d'armer les théologiens en général mais aussi les futurs ministres pour la pensée...
PRG

Aucun commentaire: