lundi 3 décembre 2012

Grâce pour tous

- Et toi, tu en penses quoi, de ce "mariage pour tous" ?
- Je n'ose plus penser...
- C'est quoi ça, un protestant qui n'ose plus penser?
- C'est un protestant qui s'inquiète de l'unité de l'Eglise.
- Tiens, pourquoi ?
- Parce qu'à force de débattre on finit par se haïr.
- Mais la laïcité, si chère aux protestants, c'est justement voir l'espace public comme lieu du débat, et même du conflit, entre idées honnêtement exposées !
- C'est vrai. D'ailleurs dans le système ecclésial luthéro-réformé, le processus de prise de décision est collégial et évolutif. Une décision n'est jamais éternelle, seul Dieu l'est. N'empêche que ce qui me pose problème, c'est qu'on va forcément laisser des gens au bord de la route.
- Oui... quelle que soit la décision, il y aura des mécontents. Certains disent qu'il faut malgré tout prendre une décision et qu'un critère éthique est qu'il faut prendre soin des "plus petits" au sens biblique. Ceux qui n'ont pas la voix au chapitre. Autrement dit, les minoritaires.
- Mais ce n'est pas parce qu'une minorité veut quelque chose qu'il faut automatiquement l'accorder ! il faut que ce soit fondé ailleurs !
- Ailleurs, c'est bien le problème. J'ai l'impression qu'il y a deux logiques qui s'affrontent, d'une certaine manière. D'un côté, on affirme qu'il y a une altérité fondatrice à l'être humain, que cette altérité s'incarne dans la différence des sexes (on évoque aussi les références bibliques et métaphoriques entre Christ et son Eglise). 
- Oui, mais de l'autre côté, on rappelle que l'anthropologie chrétienne et notamment protestante, c'est l'acceptation de tous par Dieu, sans distinction de culture, d'importance sociale... ou de genre. Et que la norme ne peut pas, ne peut jamais, être le lieu de la grâce. Sinon on fait de la norme une nouvelle idole. 
- C'est ça. Et là, une parole forte des Eglises sur le sujet serait maintenant le plus beau signe de l'Evangile dans ce monde, non ? rappeller que le salut n'est pas dans la norme... 
- En même temps, ça ne règle pas le problème. 
- Pourquoi pas ? 
- Parce qu'au fond, ce dont on discute, ce n'est pas le "droit" à un mariage pour tous. De toute façon pour nous, le mariage n'est pas un sacrement, donc le débat peut sembler être de l'ordre de cette question qu'on posait à Luther et à laquelle il répondait "processionnez, processionnez donc !"
- Ah oui, ce que tu veux dire c'est que ce n'est pas le mariage qui est en question, mais autre chose ?  comme la question de la parentalité pour tous ?
- Peut-être, oui. 
- Et c'est là, du coup, que la question de l'altérité qui nous précède prend tout son sens. Une naissance témoigne de l'altérité absolue des deux parents, et aussi de l'altérité absolue de ce nouvel être humain. 
- Oui, faudrait creuser... au fond, il faut savoir de quelle représentation de l'humain on veut répondre. 
- Et de quelle représentation de la religion on se réclame.
- Tiens, ça me rappelle cette citation de Ferdinand Buisson en 1900, dont on a parlé en cours de théologie pratique l'autre jour : "Non, certes, la religion, surtout quand elle prétend me le révéler miraculeusement, ne m'apprend pas de science certaine, ne m'apprend même à aucun degré ce qu'est le monde et ce que je suis, d'où il vient et où il va, ni quel est mon rapport avec l'universalité de l'être. Mais elle m'empêche d'oublier que ces questions se posent, elle m'interdit de croire que je suis seul au monde, ce qui serait une erreur, ou de croire que je sais tout, ce qui en serait une autre, ou encore de croire que tout est parfaitement clair, ce qui serait la pire de toute."
- C'est beau dis donc.
- Ca donne envie d'être intelligent. Ensemble.

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