jeudi 20 décembre 2012

Synthèse



Ce matin, nous avons fait ensemble la synthèse du séminaire sur la vocation qui nous a occupés ces quatre derniers jours à Paris. Nous avions à notre disposition une liste de questions proposées par nos professeurs, libre à chacun des groupes de traiter une de ces questions en profondeur.
Première question, « quel changement dans votre vie est provoqué par l’appel de Dieu en Jésus-Christ ? », selon la formulation barthienne. Un groupe s’est attaqué à cette question, pour dire que le changement, c’est d’abord de reconnaître la vocation. Pour le petit Samuel par exemple, il y a une question de temps : ça prend du temps de la reconnaître, de la comprendre. Ensuite, il s’agit d’en rendre compte, pour soi, mais aussi autour de soi, car cette vocation change ce qu’on a été jusque-là. C’est une prise de risque que de rendre compte de cet appel. La vocation, c’est finalement prendre conscience de façon forte de l’amour de Dieu pour soi, et de cette prise de conscience découle un engagement, celui d’être témoin. En quelque sorte, on reconnaît la vocation chrétienne à ce qu’elle change l’homme en témoin, elle l’engage tout entier, et toujours.
Deuxième question : « la vocation est-elle appel de Dieu ou réponse à Dieu ? ». Deux groupes ont répondu à cette question. Pour le premier, si nous croyons à un Dieu vivant, alors la vocation est un appel auquel il s’agit de répondre. Prudence cependant, car la psychologie a montré qu’on pense faire des choix de façon rationnelle, alors que la plupart du temps, nous inventons après coup des raisons qui auraient motivé nos choix. Ce qui motive profondément un choix, c’est soi en fonction d’un futur qu’on imagine, soit en fonction d’une loi qu’on se donne. Là, le problème est qu’il s’agit d’une affaire de foi, et tout l’enjeu pour la dogmatique chrétienne est bien de penser un Dieu vivant de façon systématique. Pour le deuxième groupe, il y a une vocation à la vie qui précède toute autre vocation : l’être humain qui vient au monde a une vocation à vivre. Quant aux autres vocations, comment savoir qu’elles sont adressées par Dieu ? Comment faire avec l’incarnation, qui impose de penser que nous ne pouvons penser cet appel que dans des catégories contextuelles ? Le bourreau du Moyen-Âge pensait lui aussi répondre à une vocation en exécutant la justice. En revenant aux textes bibliques, notamment l’envoi des disciples (Mc 6 par exemple), on note que si l’appel à la suivance est adressée à des individus uniques, l’envoi est un appel qui pousse vers l’ailleurs en vue de guérir et de proclamer, en communauté (ils ne sont pas envoyés un par un mais deux par deux : on ne vit pas sa vocation seul), sans compter sur ses propres forces mais en se risquant toujours. Notons d’ailleurs que les disciples y comprennent rarement grand-chose, qu’ils sont la plupart du temps évangélisés plutôt qu’évangélisants, et que si nous pouvons avoir une certitude d’après les textes bibliques, c’est qu’en tant que disciples on a toutes les chances de se tromper à la fois sur celui qui envoie, sur le contenu de l’envoi et sur les véritables raisons qui nous font partir !
Troisième question : « quelqu’un vous demande ce que vous pensez du fait que, chrétien, il travaille dans une société qui fabrique des armes ; que faites-vous en ce cas avec l’interprétation luthérienne Beruf-Berufung ? » Rappelons que pour Luther, le métier (Beruf) est une réponse valable à la vocation (Berufung). Le premier groupe qui a traité cette question a rappelé que dans notre monde actuel, la conception que Luther se faisait du travail ne pouvait plus avoir cours : dans un monde où règne la précarité et le chômage, il est impossible de vivre une vocation dans le travail, puisque cette vocation supposerait la liberté de créer. Le travail n’est plus quelque chose qu’on puisse considérer comme créateur dans un monde créé. La tâche des Églises serait alors d’apporter une spiritualité à notre monde et de réveiller les consciences anesthésiées. Le deuxième groupe a souligné que la question de savoir si tout travail était acceptable pour un chrétien est une question éthique pour laquelle on ne peut poser de normes. La clé de la réflexion se situerait alors du côté d’une interrogation sur la finalité du travail : cette finalité risque-t-elle d’être pervertie ?
Quatrième question : « comment reconnaître la vocation ? » Elle a éveillé beaucoup d’espoirs parmi les participants, espérant enfin une réponse claire ! Mais c’est une problématisation qui seule est possible. Il s’agit de savoir si la vocation interne peut être reconnue extérieurement par des critères objectivants. Le récit de soi permet de réfléchir à la vocation interne. Un autre critère, celui de la capacité, peut permettre de trancher. D’où la question des mœurs du ministre : les pasteurs doivent-ils être des modèles, des exemples ? Cela ne risque-t-il pas d’enfermer le pasteur dans un rôle qui le coupe d’une humanité « ordinaire » ? Quelles sont, au fond, les qualités indispensables ?
Cinquième question : « la vocation pastorale est-elle spécifique ou comprise dans la vocation chrétienne ? » Dans ce groupe, deux tendances se sont dégagées. Les uns posaient que le pasteur était un être à part, puisqu’il était appelé par l’Eglise, elle-même missionnée par l’Esprit, à administrer les sacrements : il faut donner du poids à une fonction telle. Les autres se refusaient à donner autant de poids à la vocation ministérielle, source d’un risque d’abus de pouvoir mettant en danger la reconnaissance de la vocation spécifique de chacun. Le pasteur est-il une figure d’autorité propre à maintenir l’ordre d’une communauté donné, ou n’a-t-il d’autre rôle que l’édification sans souci de diriger ?
On le voit, les polarités se sont dessinées, selon les origines ecclésiales, les tendances théologiques, les parcours personnels de chacun. Ces quelques jours ont permis, sinon de trouver des réponses, du moins de constater qu’en matière de vocation, nous sommes toujours en quête de sens. Peut-être faut-il surtout ne jamais oublier qu’un appel est lancé et qu’oublier la source de l’appel, c’est vouloir se faire propriétaire de sa vocation, oublier la source du don premier de la grâce. L’horizon se dessinerait alors du côté d’un impératif paradoxal : toujours attendre l’inattendu ! C’est dans ce clair-obscur que l’appel de Dieu, encore et toujours, est lancé et sera entendu, parfois, comme une vocation...
PRG

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