Dans notre chère faculté, et
dans le cadre d’une exposition qui aura lieu au Musée Fabre de juin à Octobre
« Caravage et les caravagesques Européens », il nous a été donné de faire un petit tour
artistique et historique dans une vision théologique de l’art à travers la
peinture du Caravage.
Et pour nous protestant, c’était l’occasion aussi de réfléchir et reconsidérer le statut de
l’image comme illustration théologique
et prédication de l’Evangile. D’ailleurs à ce sujet je vous renvoie
aussi à ces images BD en cliquant ici qui nous proposent de relire autrement certains
textes bibliques, et qui pourraient être sur les vitraux de nos temples ou des
salles d’école biblique… Pourquoi pas ?
Pour revenir à un autre temps,
et dans le contexte de la Contre-Réforme, avec le concile de Trente qui s’est
achevé en 1563, il a été nécessaire pour la Grande Eglise Romaine de réfléchir
aussi au rôle des images, des images saintes, et ainsi de Confirmer leur rôle
pédagogique. Il s’agissait en effet de pouvoir s’adresser à tous, conscients et
forts du constat que les fidèles pouvaient avoir besoin de s’appuyer sur les
images pour apprendre et s’approprier certains dogmes. Dans ce mouvement, le
concile a arrêté certains critères pour pouvoir attester et reconnaître les
images d’art.
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Les œuvres d’art devaient
être en orthodoxie par rapport aux dogmes et si on n’en était pas certain, il
fallait se soumettre à l’autorité de l’évêque pour qu’il puisse donner son
autorisation.
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Il était nécessaire
qu’elles soient en conformité avec les textes évangéliques. (avec ce mot
d’ordre : méfiez vous des apocryphes, de la tradition). Toutefois dans ce
contexte, résistait une difficulté à rejeter la vénération des saints.
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Le récit évoqué dans le tableau devait être représenté
avec clarté du récit. En effet, le fidèle ne devait pas s’égarer dans la contemplation
du récit. Le récit devait donc être simple. L’image devait être une
illustration pieuse et finalement, ne pas être une œuvre d’art.
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Il fallait bannir la nudité
des œuvres religieuses (même si elle était citée dans les livres, comme par
exemple la nudité de David devant l’arche)
En définitive, les décisions du Concile aboutissaient à un
art austère. Et ainsi, les décisions du Concile n’étaient pas appliquées
partout.
Michelangelo Merisi da Caravaggio, naquit à Milan en 1571
dans cette époque influencée par la Contre-Réforme. Son style se démarque de
celui de la renaissance et il traite avec originalité les thèmes religieux.
Certaines de ces œuvres répondent à des commandes qui manifestent la théologie
de L’Eglise Catholique, même si certaines sont refusées et estimées
scandaleuses dans la liberté qu’il prend par rapport à ces recommandations du
concile de Trente.
La madone du palefrenier (1606, Museo borghese, Rome) |
Cela a
pu être le cas pour la madone du palefrenier, critiquée pour sa représentation d’un Christ
déjà grand et nu, et le décolleté de sa mère. Mais ce tableau proposait déjà
une actualisation de la lecture du texte biblique en y faisant relire le texte
de Genèse 3 et répondant aux questions de l’époque sur une question théologique
de relecture du texte de l’ancien testament à la lumière du nouveau. Qui écrase
la tête du serpent, le Christ ou sa mère ? Le peintre le reprend pour
montrer que la mère écrase le serpent et son fils l’aide en appuyant sur son
pied. Autre actualisation aussi peut-être dans cette image ? en effet, on y voit aussi la représentation
de sainte Anne la patronne de la communauté des palefreniers sans rapport avec
ce qui se joue dans le tableau ; comme si dans la vie de ceux de l’époque,
de cette communauté se traçait la possibilité pour eux aussi de relire ce texte
en assistant à la scène dans leur vie.
Le Caravage, maître dans l’art du
clair obscur, utilise la lumière de façon dramatique pour insister sur les
sentiments du Christ. Il aime reproduire l’impact de la lumière réelle sur la
lumière du tableau, pour l’installation de ses tableaux dans les églises. Dans
ses peintures, la lumière est l’illustration visible de la grâce de Dieu.
Les bourreaux.
Pour trois représentations de bourreaux dans 3 contextes
différents, le peintre utilise le même modèle.
La Flagellation du Christ
(1607, Musée national de
Capodimonte, Naples)
|
Mais le peintre lui fait
manifester un sentiment différent criant de réalisme. Autant, le bourreau de la
flagellation semble mettre de la haine, et montre un visage bestial.
Christ à la Colonne (1607-1608, Beaux-Arts de Rouen) |
Salomé avec la Tête de Saint-Jean-Baptiste (1601, National Gallery, Londres) |
Autant celui du Christ à la colonne semble s’interroger sur la légitimité de son geste. Et le bourreau qui tend la tête du Baptiste à Salomé semble même regretter
son geste et éprouver de la compassion, et la danseuse de détourner la tête, simple commanditaire du désir de sa mère qui se frotte les mains de satisfaction. Ajoutez-y un petit rire cynique et vous retrouverez nos représentations des sorcières contemporaines dans les animations.
L’instant.
Peintre photographe, il a tenté de capturer le moment, le kairos, comme on aime l'appeler en théologie.
Le Sacrifice d’Isaac (1601-1602, Galerie des Offices, Florence) |
Ainsi, pour le Sacrifice d’Isaac, un des rares tableaux diurne du Caravage, il met en scène le jour symbole de la nouvelle alliance, la main retenue d’Abraham et il saisit le cri saisissant du jeune homme.
Ainsi, le Caravage montre comment saisir un instant qui peut
venir résonner pour nous, l’instant d’un cri.
Le Souper à Emmaus (1606, Pinacothèque de Brera, Milan) |
Le Souper à Emmaus (1601, National Gallery, Londres) |
Ou encore comment saisir ce moment de la reconnaissance, quand on reconnaît le Christ, entre joie et surprise voire stupéfaction, recul ou mouvement vers lui, avec la scène des pèlerins d’Emmaüs quelques secondes avant que le Christ disparaisse.
La pénitence.
Le thème de la pénitence est un des thèmes également
exploité par le Caravage dans lequel il fait ressortir l’humanité des
protagonistes en y insufflant une intensité dramatique sans qu’il y ait besoin
de rajouter de symbole.
La madeleine repentante (1593-1594, galerie Doria pamphilj, Rome) |
Tout se portant simplement sur l’expression des
personnages tant dans leur visage que dans leur corps, comme la position des
mains, la tête penché et le repli de ce corps sur lui-même, et sans éprouver le besoin d’y ajouter le
crâne des vanités comme le feront certains caravagesques, ces peintres
influencés par son art.
La Charité.
Et pour finir ce parcours, partageons aussi cette
représentation de la Charité, illustration du texte de l’Evangile selon
Matthieu, chapitre 25 verset 35. « Car j'ai eu faim et vous m'avez
donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais
étranger et vous m'avez recueilli ; 36j'étais nu et vous m'avez
vêtu ; j'étais malade et vous m'avez visité ; j'étais en prison et
vous êtes venus me voir. »
Ces sept actes de Charité sont représentés avec l’agitation des rues de Naples au plus près de l’actualité du peuple. Il y renvoie à la tradition de l’Eglise par l’évocation de symboles de références des saints.
Les sept Œuvres de la Miséricorde 1607 Église de Monte Della Misericordia Pio Naples |
Le Caravage y
entretient toujours le souci du détail comme cette goutte de lait que l’on peut
percevoir sur la barbe du prisonnier à qui l’on donne le sein. Pour représenter
l’accueil de l’étranger, le peintre représente une coquille Saint-Jacques sur
le chapeau du pèlerin en recherche de gite. Samson est abreuvé par la mâchoire
d’un âne. Saint Martin de Tour est
représenté découpant son manteau et en
revêtant celui qui est nu paralytique assis par terre.
Fort de symbolisme et
tentative d’actualisation de la parole biblique, le tableau illustre le domaine
de l’humain en bas et le sacré en haut avec ce qui relie les deux, la première
chose à "faire", être en relation les uns aux autres, s’aider, s'aimer les uns les autres.
1 commentaire:
Merci pour cette exploration de l'oeuvre du Caravage ; ça donne notamment à réfléchir sur une pratique de la prédication visuelle, surtout sur ce dernier tableau... à suivre !
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