mercredi 9 mai 2012

Images et Théologie.


Dans notre chère faculté, et dans le cadre d’une exposition qui aura lieu au Musée Fabre de juin à Octobre « Caravage et les caravagesques Européens »,  il nous a été donné de faire un petit tour artistique et historique dans une vision théologique de l’art à travers la peinture du Caravage.
Et pour nous protestant, c’était l’occasion aussi  de réfléchir et reconsidérer le statut de l’image comme illustration théologique  et prédication de l’Evangile. D’ailleurs à ce sujet je vous renvoie aussi à ces images BD en cliquant ici qui nous proposent de relire autrement certains textes bibliques, et qui pourraient être sur les vitraux de nos temples ou des salles d’école biblique… Pourquoi pas ?
Pour revenir à un autre temps, et dans le contexte de la Contre-Réforme, avec le concile de Trente qui s’est achevé en 1563, il a été nécessaire pour la Grande Eglise Romaine de réfléchir aussi au rôle des images, des images saintes, et ainsi de Confirmer leur rôle pédagogique. Il s’agissait en effet de pouvoir s’adresser à tous, conscients et forts du constat que les fidèles pouvaient avoir besoin de s’appuyer sur les images pour apprendre et s’approprier certains dogmes. Dans ce mouvement, le concile a arrêté certains critères pour pouvoir attester et reconnaître les images d’art.
-          Les œuvres d’art devaient être en orthodoxie par rapport aux dogmes et si on n’en était pas certain, il fallait se soumettre à l’autorité de l’évêque pour qu’il puisse donner son autorisation.
-          Il était nécessaire qu’elles soient en conformité avec les textes évangéliques. (avec ce mot d’ordre : méfiez vous des apocryphes, de la tradition). Toutefois dans ce contexte, résistait une difficulté à rejeter la vénération des saints.
-          Le récit  évoqué dans le tableau devait être représenté avec clarté du récit. En effet, le fidèle ne devait pas s’égarer dans la contemplation du récit. Le récit devait donc être simple. L’image devait être une illustration pieuse et finalement, ne pas être une œuvre d’art.
-          Il fallait bannir la nudité des œuvres religieuses (même si elle était citée dans les livres, comme par exemple la nudité de David devant l’arche)
En définitive, les décisions du Concile aboutissaient à un art austère. Et ainsi, les décisions du Concile n’étaient pas appliquées partout.
Michelangelo Merisi da Caravaggio, naquit à Milan en 1571 dans cette époque influencée par la Contre-Réforme. Son style se démarque de celui de la renaissance et il traite avec originalité les thèmes religieux. Certaines de ces œuvres répondent à des commandes qui manifestent la théologie de L’Eglise Catholique, même si certaines sont refusées et estimées scandaleuses dans la liberté qu’il prend par rapport à ces recommandations du concile de Trente.
La madone du palefrenier
(1606, Museo borghese, Rome)
 
                Cela a pu être le cas pour la madone du palefrenier,  critiquée pour sa représentation d’un Christ déjà grand et nu, et le décolleté de sa mère. Mais ce tableau proposait déjà une actualisation de la lecture du texte biblique en y faisant relire le texte de Genèse 3 et répondant aux questions de l’époque sur une question théologique de relecture du texte de l’ancien testament à la lumière du nouveau. Qui écrase la tête du serpent, le Christ ou sa mère ? Le peintre le reprend pour montrer que la mère écrase le serpent et son fils l’aide en appuyant sur son pied. Autre actualisation aussi peut-être dans cette image ?  en effet, on y voit aussi la représentation de sainte Anne la patronne de la communauté des palefreniers sans rapport avec ce qui se joue dans le tableau ; comme si dans la vie de ceux de l’époque, de cette communauté se traçait la possibilité pour eux aussi de relire ce texte en assistant à la scène dans leur vie.

Le Caravage, maître dans l’art du clair obscur, utilise la lumière de façon dramatique pour insister sur les sentiments du Christ. Il aime reproduire l’impact de la lumière réelle sur la lumière du tableau, pour l’installation de ses tableaux dans les églises. Dans ses peintures, la lumière est l’illustration visible de la grâce de Dieu.

Les bourreaux.
Pour trois représentations de bourreaux dans 3 contextes différents, le peintre utilise le même modèle.

La Flagellation du Christ 
(1607, Musée national de Capodimonte, Naples)
Mais le peintre lui fait manifester un sentiment différent criant de réalisme. Autant, le bourreau de la flagellation semble mettre de la haine, et montre un visage bestial.

Christ à la Colonne
 (1607-1608, Beaux-Arts de Rouen)
 








Salomé avec la Tête de Saint-Jean-Baptiste
(1601, National Gallery, Londres)
 

Autant celui du Christ à la colonne semble s’interroger sur la légitimité de son geste. Et le bourreau qui tend la tête du Baptiste à Salomé semble même regretter son geste et éprouver de la compassion, et la danseuse de détourner la tête, simple commanditaire du désir de sa mère qui se frotte les mains de satisfaction. Ajoutez-y un petit rire cynique et vous retrouverez nos représentations des sorcières contemporaines dans les animations.

L’instant.
Peintre photographe, il a tenté de capturer le moment, le kairos, comme on aime l'appeler en théologie.

Le Sacrifice d’Isaac
 (1601-1602, Galerie des Offices, Florence)
Ainsi, pour le Sacrifice d’Isaac, un des rares tableaux diurne du Caravage, il met en scène le jour symbole de la nouvelle alliance, la main retenue d’Abraham et il saisit le cri saisissant du jeune homme.




Ainsi, le Caravage montre comment saisir un instant qui peut venir résonner pour nous, l’instant d’un cri. 
Le Souper à Emmaus
 (1606, Pinacothèque de Brera, Milan)

Le Souper à Emmaus
(1601, National Gallery, Londres)
 

 







Ou encore comment saisir ce moment de la reconnaissance, quand on reconnaît le Christ, entre joie et surprise voire stupéfaction, recul ou mouvement vers lui, avec la scène des pèlerins d’Emmaüs  quelques secondes avant que le Christ disparaisse.

La pénitence.
Le thème de la pénitence est un des thèmes également exploité par le Caravage dans lequel il fait ressortir l’humanité des protagonistes en y insufflant une intensité dramatique sans qu’il y ait besoin de rajouter de symbole.
La madeleine repentante
(1593-1594, galerie Doria pamphilj, Rome)
 
Tout se portant simplement sur l’expression des personnages tant dans leur visage que dans leur corps, comme la position des mains, la tête penché et le repli de ce corps sur lui-même,  et sans éprouver le besoin d’y ajouter le crâne des vanités comme le feront certains caravagesques, ces peintres influencés par son art.

La Charité.
 Et pour finir ce parcours, partageons aussi cette représentation de la Charité, illustration du texte de l’Evangile selon Matthieu, chapitre 25 verset 35. « Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger et vous m'avez recueilli ; 36j'étais nu et vous m'avez vêtu ; j'étais malade et vous m'avez visité ; j'étais en prison et vous êtes venus me voir. » 
Ces sept actes de Charité  sont représentés avec l’agitation des rues de Naples au plus près de l’actualité du peuple. Il y renvoie à la tradition de l’Eglise par l’évocation de symboles de références des saints.
Les sept Œuvres  de la Miséricorde
1607
Église de Monte Della Misericordia Pio
Naples
Le Caravage y entretient toujours le souci du détail comme cette goutte de lait que l’on peut percevoir sur la barbe du prisonnier à qui l’on donne le sein. Pour représenter l’accueil de l’étranger, le peintre représente une coquille Saint-Jacques sur le chapeau du pèlerin en recherche de gite. Samson est abreuvé par la mâchoire d’un âne.  Saint Martin de Tour est représenté  découpant son manteau et en revêtant celui qui est nu paralytique assis par terre.
Fort de symbolisme et tentative d’actualisation de la parole biblique, le tableau illustre le domaine de l’humain en bas et le sacré en haut avec ce qui relie les deux, la première chose à "faire", être en relation les uns aux autres, s’aider, s'aimer les uns les autres.

1 commentaire:

Pascale a dit…

Merci pour cette exploration de l'oeuvre du Caravage ; ça donne notamment à réfléchir sur une pratique de la prédication visuelle, surtout sur ce dernier tableau... à suivre !