mercredi 11 janvier 2012

Desiderata

Nous connaissons tous le poème de Kipling, Si... qui se conclut par "alors tu seras un homme, mon fils". Entre nous soit dit, j'ai toujours trouvé cette conclusion assez effrayante, étant donné le nombre et la difficulté des conditions à remplir... mais enfin, on est d'accord, c'est un beau poème. Hier, le curé de Fontenay-le-Comte en Vendée, qui tient un blog tout à fait épatant, a mis en ligne un autre texte. Quelques rapides recherches m'ont conduite sur la piste d'un texte au destin curieux, dont vous trouverez toute l'histoire ici, mais voici en quelques mots de quoi il s'agit. 
Ce poème en prose s'intitule Desiderata et a été écrit en 1927 par l'écrivain, avocat et homme d'affaires américain Max Ehrmann (1872-1945). En 1959, le révérend Frederick Kates, recteur de Saint Paul à Baltimore, prépara une compilation de textes destinés à sa congrégation. En haut des pages il inscrivit "Old Saint Paul's Church, Baltimore, A.D. 1692", qui est la date de construction de l'église. L'indication de l'auteur s'en perdit assez vite ensuite, mais le texte se répandit très largement, notamment durant les années 1960 dans les mouvements pacifistes américains, surtout après la découverte d'une copie du poème près du lit de mort de l'homme politique Adlai Stevenson en 1965. En 1972, un enregistrement audio lui fit connaître un succès foudroyant. Le texte étant devenu célèbre, les héritiers intentèrent une action en justice pour en faire reconnaître l'auteur et prouver qu'il n'était pas dans le domaine public ; c'est un cas compliqué de ce point de vue, qui fait que le texte est et n'est pas à la fois dans le domaine public... Il existe une traduction en français, écrite en 1996 par Hubert Claes sous le titre Injonctions pour une vie sereine. Aujourd'hui, on trouve le texte sur beaucoup de sites français, avec une brève indication disant que l'auteur en est inconnu et qu'il a été découvert dans une vieille église de Baltimore en 1692... les péripéties de tous les textes, même non bibliques, sont parfois étonnantes ! 
Voici le texte retraduit pour l'occasion.

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Va paisiblement dans le vacarme et l’agitation, souviens-toi de la paix possible au cœur du silence.
Autant que possible, sans rien céder de toi, sois en bons termes avec chacun. Dis ta vérité tranquillement et clairement et écoute les autres, même les lents et les ignorants, car eux aussi ont leur histoire. Evite les gens grossiers et les agressifs, ils agaceront ton esprit.
Si tu te compares aux autres, tu risque de devenir vaniteux ou aigri, car il y aura toujours de plus grands et de plus petits que toi. Savoure tes projets autant que tes succès. Applique-toi à aimer ton chemin, aussi humble soit-il, car là est ton trésor au milieu des péripéties de la vie.
Soit prudent dans les affaires, car le monde est plein de duperies, mais ne laisse pas cela t’aveugler devant la vertu : beaucoup en effet recherchent l’idéal et ce monde, partout, déborde d’héroïsme.
Sois toi-même. Surtout, ne feins pas d’aimer. Ne soit pas cynique face à l’amour, car si tu te perds dans les déserts arides et le désenchantement, l’amour lui est aussi vivace que l’herbe.
Prends conseil tranquillement des années qui passent, accepte gracieusement de voir décamper ta jeunesse. Nourris la fortitude de ton âme, elle t’abritera aux jours de soudain malheur. Ne te chagrine pas d’idées vaines et noires. Bien des peurs naissent de la lassitude et de la solitude.
Exerce une saine discipline pour toi-même, mais sois doux envers toi. Tu es un enfant de l’univers, autant que les arbres et les étoiles ; tu as le droit d’être ici. Que tu le comprennes ou non, il ne fait pas de doute que l’univers se déploie comme il doit.
Aussi, sois en paix avec Dieu, quelle que soit ton idée de Dieu. Et quels que soient tes labeurs et tes rêves, dans la confusion de la vie, retiens précieusement la paix dans ton esprit.
Même s’il est factice, tout de guingois et plein de rêves brisés, ce monde est magnifique. Sois joyeux – et efforce-toi d’être heureux.

Max Ehrman, trad. PRG


2 commentaires:

V-Presidus a dit…

Moi qui suis difficile en poésie (bien que ne connaissant absolument rien en la matière), je dois avouer que celui-ci est bien écrit (et sans doute admirablement traduit), et qu'il me touche en tant que lecteur. Merci pour la contribution !!

christophe a dit…

Bien pensé.
C'est épicurien ou stoïcien?
Nécessaire. peut être pas suffisant?
Merci à la traductrice, qui donne ainsi envie de lire l'original.