mardi 16 octobre 2012

Rond & carré # 1


Peut-on connaître trop sa langue maternelle ? C’est l’acteur suisse Bruno Ganz qui le dit, dans une interview au Monde de ce weekend : « La langue maternelle est comme un objet qu’on utilise tout le temps. A force, on la connaît trop. »

Ces propos m’ont toute de suite fasciné. D’abord, ma première réaction c’était plutôt du genre : « Quelle aberration ! », parce que, pour moi, en tant qu’étranger en France, ce qui me manque le plus c’est quand même ma langue maternelle. Et c’est une vraie découverte, je me suis jamais rendu compte jusqu’à quel point une langue maternelle soit liée avec l’identité. Malgré le fait que je parle français, je me sens souvent enfermé et stupide car je n’arrive pas toujours à dire ce que je veux dire avec les mots qu’il faut. Ma créativité et ma générosité me semblent atteintes. Bref, sans cet objet que j’utilise tout le temps, je suis perdu.

Heureusement, ma fascination pour les propos de Bruno Ganz ne s’arrête pas avec cette frustration personnelle. Il y a des questions derrière qui se posent : ça veut dire quoi en fait, ‘connaître trop’ ? Est-ce bien possible ? Peut-on, par exemple connaître trop sa famille ou sa compagne ? Je n’en suis pas sûr du tout.

Néanmoins, vu dans son contexte, je comprends un peu mieux ce que veux dire Bruno Ganz. Il dit : « Quand on ne joue pas dans sa langue maternelle, c’est étrange, parce qu’on ne se sent pas vraiment chez soi, et en même temps ça apporte quelque chose. » Et voilà ! Peut-être on pourrait dire que sortir de sa comfort zone de la langue maternelle, ça crée des opportunités de communiquer autrement. On est forcé de retourner à l’essentiel afin d’être bien compris, c’est-à-dire : faire parler sa voix au lieu de simplement dire les textes. Ou bien plus fort encore, communiquer avec son corps entier.

Pour l’acteur, c’est même presque évident. Mais il ne l’est pas moins pour moi-même, si j’y réfléchis bien. Trop souvent, j’ai été très focalisé sur les mots, sur la parole. Déformation professionnelle, en tant que juriste ? Certes, mais ce n’est pas une excuse. Quand j’ai commencé à jouer au hockey sur gazon, j’ai appris ce que veut dire de littéralement prendre sa place et se battre physiquement. En suivant un atelier de danse moderne, j’essaie d’aller encore plus loin.

Finalement, en décidant de m’installer à Montpellier, j’ai fait le choix de laisser derrière cette comfort zone de mon pays d’origine et de ma langue. Et oui, c’est une expérience souvent assez frustrante, mais qui apporte quand même beaucoup : se concentrer sur l’aspect relationnel d’une conversation, d’autant plus essayer de lire le body language ou s’exprimer plutôt avec un geste qu’avec une blague quand on voit que quelqu’un ne va pas bien... C’est enrichissant pour le petit juriste trop cérébral que je suis. Ici, sans ma langue maternelle, ma chambre se remplit avec d’autres objets à utiliser très souvent, et je m’en réjouis.
FK

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