Peut-on
connaître trop sa langue maternelle ? C’est l’acteur suisse
Bruno Ganz qui le dit, dans une interview au Monde de ce
weekend : « La langue maternelle est comme un objet qu’on
utilise tout le temps. A force, on la connaît trop. »
Ces
propos m’ont toute de suite fasciné. D’abord, ma première
réaction c’était plutôt du genre : « Quelle aberration !
», parce que, pour moi, en tant qu’étranger en France, ce qui me
manque le plus c’est quand même ma langue maternelle. Et c’est
une vraie découverte, je me suis jamais rendu compte jusqu’à quel
point une langue maternelle soit liée avec l’identité. Malgré le
fait que je parle français, je me sens souvent enfermé et stupide
car je n’arrive pas toujours à dire ce que je veux dire avec les
mots qu’il faut. Ma créativité et ma générosité me semblent
atteintes. Bref, sans cet objet que j’utilise tout le temps, je
suis perdu.
Heureusement,
ma fascination pour les propos de Bruno Ganz ne s’arrête pas avec
cette frustration personnelle. Il y a des questions derrière qui se
posent : ça veut dire quoi en fait, ‘connaître trop’ ? Est-ce
bien possible ? Peut-on, par exemple connaître trop sa famille ou sa
compagne ? Je n’en suis pas sûr du tout.
Néanmoins,
vu dans son contexte, je comprends un peu mieux ce que veux dire
Bruno Ganz. Il dit : « Quand on ne joue pas dans sa langue
maternelle, c’est étrange, parce qu’on ne se sent pas vraiment
chez soi, et en même temps ça apporte quelque chose. » Et
voilà ! Peut-être on pourrait dire que sortir de sa comfort zone
de la langue maternelle, ça crée des opportunités de communiquer
autrement. On est forcé de retourner à l’essentiel afin d’être
bien compris, c’est-à-dire : faire parler sa voix au lieu de
simplement dire les textes. Ou bien plus fort encore, communiquer
avec son corps entier.
Pour
l’acteur, c’est même presque évident. Mais il ne l’est pas
moins pour moi-même, si j’y réfléchis bien. Trop souvent, j’ai
été très focalisé sur les mots, sur la parole. Déformation
professionnelle, en tant que juriste ? Certes, mais ce n’est pas
une excuse. Quand j’ai commencé à jouer au hockey sur gazon, j’ai
appris ce que veut dire de littéralement prendre sa place et se
battre physiquement. En suivant un atelier de danse moderne, j’essaie
d’aller encore plus loin.
Finalement,
en décidant de m’installer à Montpellier, j’ai fait le choix de
laisser derrière cette comfort zone de mon pays d’origine
et de ma langue. Et oui, c’est une expérience souvent assez
frustrante, mais qui apporte quand même beaucoup : se concentrer sur
l’aspect relationnel d’une conversation, d’autant plus essayer
de lire le body language ou s’exprimer plutôt avec un geste
qu’avec une blague quand on voit que quelqu’un ne va pas bien...
C’est enrichissant pour le petit juriste trop cérébral que je
suis. Ici, sans ma langue maternelle, ma chambre se remplit avec
d’autres objets à utiliser très souvent, et je m’en réjouis.
FK
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire