dimanche 4 décembre 2011

Passe ton Bach d'abord!

« S’il y en a un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu ». Cette citation d’Emil Cioran évoque tout le génie de la musique de celui qui est peut-être le plus célèbre protestant du monde — même si beaucoup ignorent à quel point la théologie et la foi ont été les sujets de sa musique.
A l’inverse de Mozart, qui était catholique sans nourrir une vie d’Eglise débordante, Bach délivre dans chacune de ses pièces un message théologique. Un coup d’œil à l’inventaire de sa bibliothèque à sa mort témoigne de son érudition en la matière: 
- De Luther: Oeuvres.7 volumes
- Le même ouvrage. 8 volumes
- Du même: Propos de table
- Du même: Comment. sur les Psaumes
- Du même: Sermonnaire domestique
- De Neumeister: La Table du Seigneur
- Du même: La Doctrine du Saint Baptême
- De Stenger: Les bases de la confession d'Augsbourg
- De Klinge: L'avertissement contre l'apostasie de la Religio luthérienne
Etc... Etc... Etc... 
(Cantagrel Gilles; Bach en son temps; Paris; Fayard; 1997; pp.340ss)

Karl Barth, en amateur passionné et éclairé de Mozart dira que même si les anges révèrent la musique de Bach quand ils sont en présence de Dieu, dans son dos, sans doute écoutent-ils la musique de Mozart. Et il ajoute : « chez lui, tout ce qui est lourd plane et tout ce qui léger pèse infiniment… ».

Mais là où Bach et Mozart se rejoignent, c’est dans leur liberté. La liberté de faire éclater leur génie et leur virtuosité dans le langage de la musique. Mais cette liberté totale exige une discipline de fer !
Cette obéissance à leur objet est la nécessité fondamentale à leur expressivité. Cette discipline obligea Bach à bouleverser beaucoup de principes musicaux et techniques de son époque. Nous lui devons notamment le doigter à 10 doigts qui nous parait aller de soi aujourd’hui, lorsqu’on apprend à jouer au piano, au clavecin ou à l’orgue. Or, il faut savoir qu’à l’époque, on jouait sans les pouces, c’est-à-dire à 8 doigts. Sur le plan technique, le pédalier des orgues de l’époque de Bach connaissaient deux factures : les pédaliers à l’allemande (à petites lattes très courtes) et à la française (pédales de bois ou de métal comme celle d’un piano). Bach sera à l’origine des pédaliers actuels à lattes de bois (dites « pédales »). Ils sont complets sur une étendue de 2 à 3 octaves. Vous pouvez visionner ici la Toccata et Fugue en Ut majeur BWV 564. Elle est un bel exemple de l’usage du pédalier chez Bach. Vous noterez la facétie de cette pièce : elle est un dialogue entre des « jeux » clairs et les « jeux » de basse, comme le dialogue entre un petit oiseau et le tonnerre sur un même thème.


Bach fera du jeu au pédalier une de ces spécialités. La basse devient alors à l’orgue une voix à part entière. Elle structure, assoit et cadence les œuvres. Le jeu à 10 doigts va considérablement étoffer la palette de couleurs, permettant notamment des passages d’une tonalité à une autre beaucoup plus rapides et nuancés. En effet le pouce prend alors la place de pivot : on peut tout à fait maintenir une note au pouce tout en préparant le passage de l’index au-dessus de lui pour aller chercher une note inférieure. Inversement, le pouce permet d’atteindre (selon les mains et les claviers) l’octave supérieure.

Ce coreligionnaire était un bon vivant. Père de famille nombreuse, il a laissé le souvenir d’un homme composant au milieu de la table de la cuisine en faisant sauter un de ses enfants sur ses genoux, ou en faisant le pitre avec son épouse. Cette joie de vivre était en perpétuelle tension avec une conscience extrême de la tâche à accomplir. Nous parlions de discipline de fer à l'origine de son génie: Bach dira : 
« Quiconque travaillera comme moi, pourra faire ce que je fais ».

Mais le point commun à Mozart et Bach, c’est la perte la plus importante de leur œuvre. Cette œuvre qui devait être pure grâce : l’instant d’une improvisation. Les partitions qui nous restent des deux musiciens étaient des commandes, et — pour Bach en tout cas — des obligations contractuelles ou encore des exercices pour ses enfants (l’aspect technique et pédagogique ajoutent d’ailleurs à leur richesse esthétique !).

Bach nous montre une manière d’être théologien: un père de famille comme tous les autres qui se fait virtuose à ses heures. Un type au caractère bien trempé, mais qui se fait léger comme une plume quand il s’agit de se laisser porter par son objet dans l’improvisation. Un protestant passionné, qui fit de la théologie la plus sévère son développement musical. Un jeu de basse (c'est à dire une théologie construite et solide) qui soutient tout le reste. Une discipline de fer mais, mais… surtout !... sans jamais, jamais se prendre trop au sérieux. Car se prendre au sérieux, c'est croire maîtriser son objet, en être le garant, le possesseur. Or comme dans la musique de Bach, le centre c'est Dieu lui-même. Comme Bach, nous ne pouvons espérer mieux que d'être de piètre voiles qui prennent son Esprit, son "Souffle" (pneuma/ruarh). 
Et pour cela, il faut travailler, travailler sans cesse.

Arnaud



1 commentaire:

christophe a dit…

Bach avait une BMW 564?
Vraiment en avance sur son temps, cet homme!