mercredi 30 novembre 2011

Aux gros mots les grands remèdes

En théologie voyez-vous, rien n'est compliqué. C'est en tension. Parfois aussi, c'est profilé. Voilà pourquoi un théologien commence à se frotter les mains quand on commence à le titiller avec des gros mots comme "tradition" ou "communauté". A fortiori quand c'est lui qui les a choisis, les gros mots (on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même). Ce soir donc, nous parlions au cours public de communauté et de traduction. Pardon, de tradition. Mais en fait, c'est pareil, ou c'est proche. Parce qu'il n'y a de tradition que trahissant le message qu'elle transmet. La tradition n'est pas reprise à l'identique de ce qui est transmis : il y a forcément, toujours, un écart. Ce que dira un théologien protestant, c'est qu'il faut donner une juste place à tous les éléments de la transmission : tradition, Ecriture et autorité. En d'autres termes, il faut veiller à ce que l'Evangile à transmettre ne soit pas emprisonné par la tradition, qu'il puisse rester une instance radicalement critique, y compris et peut-être surtout de la tradition. 
Mais alors, la tradition et l'Eglise, quel rapport ? Un rapport tout à fait essentiel. Mais paradoxal. Dans les confessions anciennes, l’Eglise est confessée : c’est ce qu’il faut croire. Que la foi concerne Dieu, bon, ok. Le Fils, soit. Le Saint-Esprit, va encore. Mais l’Eglise ? Pourquoi faut-il qu’elle soit prise dans le mouvement du croire ? Au même titre que Dieu, Père, Fils et Esprit ? L'Eglise comme corps du Christ, on veut bien y croire -- mais personne n’a jamais songé à en faire une nature divine de même nature que le père, le fils et l’esprit (certes, il y a dans le catholicisme une façon d'évoquer le corps mystique du Christ qui peut s'en approcher).
Alors c'est quoi, l'Eglise, à la fin ? L'Eglise, c'est une communauté. Or ce qui fait communauté, c'est ce qu'on a en commun ; mais ce qu'on a en commun en Eglise, c'est l'absence du Christ, donc ce qu'on n'a pas. Aujourd'hui, tout nous pousse à croire que c'est d'avoir quelque chose en commun qui nous permet d'être ensemble ; c'est ce qu'on recherche à tout prix ces temps-ci, se rassembler pour trouver en quoi on dit des choses semblables. Mais non, justement. Fondamentalement, l'absence du Christ, c'est ce qu'on a en commun. 
C'est là que la compréhension que les Réformateurs avaient de l'Eglise est importante. Ils précisaient qu'il était impossible de savoir qui, en vérité, fait partie de l'Eglise : il y a des croyants à l'extérieur de l'Eglise et il y a des faux croyants dans l'Eglise. Et alors ? alors, seul Dieu peut en juger. C'est le sens de la communion des saints : elle nous situe dans quelque chose de plus vaste que ce que l'on peut en juger. Seul, il m'est impossible de savoir d'où me vient ce dont je suis au bénéfice. La communion des saints, c'est aussi être au bénéfice de la foi des autres. 
Alors pourquoi faut-il qu'il y ait une Eglise visible ? L'Eglise n'est pas une assemblée ordinaire : c'est l'assemblée de ceux qui sont appelés par la parole de Dieu, par le Christ, établis par le Christ pour être son corps. Mais comme on le disait plus haut, c'est un corps qui n'a pas toute sa tête ! Ce corps témoigne de la présence paradoxale du Christ dans le monde. Imparfaite, limitée, jamais égale à l'Eglise invisible, l'Eglise visible est le lieu de l'unité. Cette unité ne nous appartient pas, elle ne procède pas de nous : elle fait altérité avec ce que nous vivons dans le monde. L'unité ne peut que faire irruption comme une grâce — pas par l'effort que nous pouvons faire, mais dans le partage de la parole et du pain. Il faut croire à l'Eglise... parce qu'on ne peut croire qu'en ce qu'on ne voit pas... 

2 commentaires:

christophe a dit…

Le fondement de la communauté serait le partage d'une absence, de "ce qu'on a pas" ?

Fusse-t-elle l'absence de Christ mort et ressuscité, cela me paraît un peu réducteur, et  d'une certaine manière ,un peu littéraire.

Si faire église ne se réduisait qu'à cela, il me semble que les apôtres seraient tout bonnement restés terrés dans une chambre haute, faisant mémoire de leur « Rabbi » défunt...évitant soigneusement de froisser l'occupant romain et les autorités du temple..

Pour que le souffle de  Pentecôte  les ait poussé à une proclamation kérygmatique, il aura bien fallu qu'il se passe « quelque chose » de plus qu'un simple « remplissage » du vide de l'absence du maître, par une spéculation sur sa résurrection. (A moins qu'on dénie tout fondement historique à la proclamation de Pentecôte).

Plus sûrement, en quoi s'origine l'élan missionnaire de Paul ? Qu'est-ce qui le pousse à annoncer l’Évangile et à « monter » des communautés sur le pourtour du bassin méditerranéen ?

Réponse :

« ...j'en viendrai aux visions et aux révélations du Seigneur : Je connais un homme dans le Christ, voici 14 ans -était-ce dans son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais, Dieu le sait - un tel homme fut enlevé jusqu'au troisième ciel.
Et je sais qu'un tel homme -était-ce dans son corps ou sans son corps ? Je ne sais pas, Dieu le sait – fut enlevé au paradis et qu'il entendit des paroles ineffables, qu'il n'est pas permis à un homme d'énoncer. » (2Co 12, 1-5).

Ce qui fonde l'engagement de Paul, n'est pas l'absence, mais son extase, sa Rencontre avec le Seigneur.

De même, j'ai la faiblesse de penser que par delà l'absence, les communautés s'originent dans le témoignage des apôtres , leur Foi (certitude confiante) en un Jésus, qu'ils proclament Christ, mort et ressuscité pour eux, pour le monde, pour nous.

Encore aujourd'hui, plus que l'absence, ce qui me semble faire vivre la communauté, c'est la Rencontre avec le Seigneur, quelque forme qu'elle puisse prendre...ainsi que la célébration joyeuse (mais le qualificatif est peut-être un peu optimiste...) du cadeau qu'Il nous fait, d'une vie renouvelée, en Lui.

Bien sûr dans tout cela, l'absence n'est pas absente...
Mais elle est parfois toute relative.

L'Amicale de l'IPT Montpellier a dit…

Ce serait bien que tu fasses un billet sur le sujet...
Une question qui t'aidera peut-être à préciser ta pensée : est-ce que ce n'est pas dans le moment précis de sa conversion que s'organise pour Paul à la fois l'impératif kérygmatique et la compréhension de la croix comme révélation de la présence paradoxale du Christ (paradoxale parce que présence dans l'absence) ? Est-ce que ce n'est pas la grâce (du v.9) qui réorganise toute sa compréhension en donnant le sens de l'extase ? L'extase seule n'est rien ; ce ne serait pas déraisonnable d'en parler, mais elle n'est pas le lieu de la grâce, qui reste hors capture.
Chiche ?
(P)