mardi 6 mars 2012

Hors du ministère pastoral, point de salut ?

Voilà ce qu'on essaye de nous faire croire. La société, les professeurs, nos parents et nos bien-pensants nous rabâchent sans cesse la même histoire. Faire de la théologie mène à l'abnégation du ministère pastoral. Au nom de Jésus, donner sa vie à l’Évangile, être payé une misère dans un presbytère délabré pour fournir à l'Eglise, souvent l'ERF, les forces vives dont elle a tant besoin. Cette rengaine est si tenace qu'on finit par s'en convaincre. Pasteur, pourquoi pas ? Pourquoi pas moi ? On s'imagine, se projette, idéalise les projets de paroisse. On se voit, tel le Messie, débarquer dans une communauté des Cévennes profondes et rétablir la foi parmi les protestants culturels. Certains rêvent même d'évangéliser le patelin paumé dans lequel ils seront envoyés. Dieu que c'est beau ! 

Mais la réalité est tout autre. Nul n'est pasteur qui veut. Oh oui, on connait la chanson. D'abord, il y a la vocation externe qui est ce regard paternaliste posé sur notre épaule – tu seras un pasteur mon fils, ma fille ! – et la vocation interne qui consiste en une introspection profonde à la lumière des cierges de nos rares lieux de retraite protestants s'imaginant recevoir du tout-puissant l'illumination de la vocation pastorale. Mais, comme je l'ai déjà dit, nul n'est pasteur qui veut. On nous forme à être des théologiens, nous balançant lors de la 5ème année, dite du master pro, des miettes de pragmatisme une semaine par mois. Si bien que le savant pasteur-proposant qui débarque dans sa paroisse se retrouve devant tous les problèmes du monde... sauf des problèmes théologiques. Quelle est ma place en tant que pasteur ? Comme incarner le leadership tout en laissant de la place à la communauté ? Comment gérer ma communication face à un conseil presbytéral ? Comment animer une fête de paroisse ? Et ces jeunes... j'en fais quoi ? Pourquoi ces personnes qui n'ont eu de cesse de me faire des ronds de jambe m'ont gratifié d’un avis négatif à l'issu de mes deux premières années ? Et puis, à part recracher ce que j'ai appris lors de ces brillantes sessions académiques interdisciplinaires, finalement, j'en suis où dans mon chemin de foi ?

Ces questions sont dures comme est dure la descente aux enfers pour celui qui ne s'y prépare pas. Mais avant l'étape du proposanat, il y a la commission des ministères. La CDM, pour les intimes. Les uns recalés de suite, les autres après avoir donné de leur personne. Revenez plus tard, qu'ils nous disent ! Ou ne revenez jamais... Après 4 ou 5 ans d'études en théologie avec dans la tête l'idée que la seule voie de salut consistait à revêtir une robe noire à rabat blanc, ça fait mal au cul ! Mais il y en a qui « passent ». Certains, on se demande bien pourquoi. D'autres, ça coule de source. Les premiers se ramassent et finissent en dépression, finissent mauvais pasteurs ou encore apprennent avec le temps et deviennent excellents ! Les seconds commencent bons pasteurs et le finissent. Certains même deviendront professeurs dans nos facultés. Et certains d'entre eux d'excellents professeurs qui nous feront rire et nous transmettront avec pédagogie leur science. Les meilleurs des meilleurs oseront nous parler de leur foi en cours... qu'ils ont fait cette étude sur l'apocalypse parce que quand ils étaient mômes, leur peur, sur base d'un fondamentaliste ambiant, était de voir leur frère se faire enlever par le Seigneur et pas eux parce qu'ils dormaient dans le même lit et qu'en Mt 24,40 les enlèvements eschatologiques ne vont pas par deux.

Mais pour les autres, les déchets du système, les clairvoyants avant l'heure du jugement, que reste-il ? Que nous reste-il comme débouchés concrets après toutes ces années à écumer les bancs de nos faculté de théologie ? En théorie... rien ! En pratique, c'est plus subtil. Beaucoup devront se former ailleurs. Pour certains, ce sera une reconversion totale. D'autres essayeront de faire le lien avec la théologie et après tout cet investissement, on peut les comprendre. Alors, il y a deux écoles, à ma connaissance. Le journalisme, histoire de finir pigiste pour Réforme et Présence Protestante et, pour les plus chanceux, de devenir statutaire... voire même chef ! Et puis, il y a la sociologie des religions. Qui n'est, finalement, qu'un leurre de plus pour finir journaliste, sous la houlette de ce bon vieux Frédéric Lenoir. Ah oui ! On peut aussi faire un doctorat et devenir prof... mais faut en vouloir !

Mais je vous mène en bateau depuis le début, en ne vous révélant pas le fond de ma pensée. Ce qui reste, ce sont ces magnifiques années passées en théologie. Ce temps de pause durant lequel la vie s'est suspendue, souvent dans une ambiance hors du commun, pour découvrir un monde fait de tous les possibles où nos convictions se sont forgées, où l'on a vu tout s'écrouler et tout se reconstruire. Non, Paul n'a peut-être pas écrit cette lettre. Non, l'important n'est pas de croire que le monde a 6000 ans contre toute objection scientifique, mais qu'il a été façonné par Dieu, pour les hommes, pour la vie. Non, Jean de Patmos ne parlait pas de la Bible toute entière quand il déclarait que « si quelqu'un retranche aux paroles de ce livre prophétique, Dieu retranchera sa part de l'arbre de vie et de la cité sainte qui sont décrits dans ce livre » (Ap 22,19) parce, tout bonnement, la Bible telle qu'on la connaît n'existait pas à l'époque du rédacteur.

Je crois qu'il peut y avoir une véritable vocation à poursuivre un parcours en théologie et seulement en théologie. A chaque jour suffit sa peine et personne n'a jamais réussi à ajouter un jour supplémentaire à sa vie en s'inquiétant du lendemain... il n'a qu'à s'inquiéter de lui-même celui-là tiens ! Car Dieu est grand, et notre espérance de chrétien ne peut que mettre dans notre petit cœur abîmé qu'Il dévoilera sur notre route, avec notre bonne volonté, et pour certains une bonne psychanalyse, les dessins du plan qu'il a pour nous.

Benjamin Bories

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Je me permet un p'tit bémol sur les 3/4 de ton texte (jusqu’à ce que tu dises que tu ne penses pas ce que tu dis auquel cas j'ai rien dit!). Qui a la fac pousse les étudiants à opter pour le ministère? Quel pasteur est payé une misère et vit dans un presbytère pourri? Qui arrive en paroisse en voulant "rétablir la foi" de protestants "culturels"? Quel pasteur n'est pas confronté à des problèmes théologiques? En quoi la CDM est-elle paternaliste? Bref i'm shocking! Tout n'est pas rose dans le ministère et dans l'ERF, mais qui a dit que la vie était facile? Ah oui notre société qui prétend que la vie c les loisirs, la détente... Une atmosphère théologique lénifiante, castratrice qui conduit à la soumission au monde ou à sa sortie au lieu de pousser à porter un peu sa croix! Les défis d'un ministre aujourd'hui sont grands et plein d'embûches, mais ils sont très motivants pour quiconque croit que ce pays a besoin d'un grand coup de pied de Dieu dans la fourmilière! A Dieu seul la gloire! Toi qui te sens appelé au service de JC, avec ou sans robe, fais taire en toi les appels d'une société de jouissances plates, de confort chiant à mourir et de petites satisfactions éphémères pour accepter le grand saut dans la folie (oui faut être fou c clair... mais qu'est-ce que c'est chiant d'être sage!) du Christ!
Sebus Calvinus

christophe a dit…

Il est free, le Benji man, il a beaucoup compris...(peut-être pas tout mais beaucoup).
Mais quelle mouche l'a piqué...si c'est un ami recalé, alors ok.

Au fait, c'est qui Sebus Calvinus?

christophe a dit…

Voilà quelques lignes pour préciser ma réception de l'article de Benjamin Bories, que par ailleurs je ne connais pas.
Je ne suis effectivement pas d'accord pour ce qui est des conditions matérielles de vie que proposent les Eglises locales aux pasteurs , y compris aux proposants. De ce que j'ai pu constater, il y a une vrai volonté d'accueillir décemment. Et d'une manière générale, je trouve que les pasteurs ne sont pas à plaindre financièrement en ERF. Et comme je ne pense pas qu'on se lance dans une aventure vocationnelle avec un tiroir-caisse en ligne de mire, je crois que c'est un mauvais procès qu'on fait à notre Eglise. De même je pense effectivement que les profs ne confondent jamais leur rôle et celui de la CDM. Ils y mettent me semble-t-il un point d'honneur, de déontologie ecclésiale si je puis dire.
Par contre, je crois qu'effectivement si on est jeune, ou si l'on n'a pas cotoyer assez le monde paroissial ou le monde du travail, on peut ne pas prendre la mesure de la dimension sociologique d'une Eglise locale, et du caractère public et social du « métier »(je déteste le mot en l’occurrence, mais là il fait sens) de pasteur.
Naturellement, être pasteur il faut le rêver comme ministère ; il faut s'y voir , peut être même se dire qu'on y ferait bien tel ou tel projet...mais en même temps, c'est important de se rendre à l'évidence que c'est d'abord un service...au service d'une eglise locale. Donc, il faut rêver sa vocation, mais pas trop précisément, sinon on peut idéaliser un ministère pastoral qui n'existera jamais. Et on courre vers de profondes désillusions.
Si l'on excepte le revirement final de l'article de Benjamin, qui me semble avant tout rhétorique, l'ensemble du début de l'article me semble être un constat de cette désillusion...
Après il est vrai qu'il ne faut pas se leurrer : nombres des gens entre 20 et 50 ans qui font des études à l'IPT , les font uniquement dans l'optique de devenir pasteur. Et il est vrai que faire 4 à7 ans d'études pour s'entendre dire que tout bien considéré « on ne vous prend pas », ça peut rester en travers de la gorge.
Le vieux de 50 ans que je suis mesure cela avec une anxiété grandissante au fur et à mesure que se rapproche sa réunion avec la CDM pour le passage en master pro.
Quoi dire si ce n'est qu'il faut faire avec, éviter de penser à tout le temps de vie et à tout l'argent investit dans ce projet assez fou ; garder son calme et sa confiance...faire confiance.
Mais c'est pas tous les jours facile de travailler sereinement dans ce contexte.

BenJ a dit…

Chers Sébus Calvinus et Christophe.

Je réponds à la question de Christophe : Sebus Calvinus n'est autre que le dernier descendant en ligne direct du réformateur... selon une légende, en laquelle je veux croire.

Je crois que j'ai là répondu à la seule question posée. Je pourrais réagir sur vos réactions mais je ne les trouve pas si catastrophiques... je vais donc, dans ma grande clémence, leur donner une chance de survie en ne les commentant pas. Merci d'avoir fini/continué mon article même si, je le précise et ce n'est pas grave, le sujet que vous retenez n'est pas du tout le sujet de mon article.

Mes amitiés,

Benjamin Bories

PS : Christophe, reçois mes encouragements pour ton passage de devant la CDM.

Pascale a dit…

En écrivant ce billet, Benji, tu répondais à une "commande" : que peut-on dire de la vie après les études de théologie, quand on a fait le choix de ne pas être ministre ? Je te demandais de parler des autres possibilités qui s'ouvrent à des théologiens. Et je suis particulièrement heureuse de voir que ta conclusion rappelle l'essentiel, l'ici et maintenant de ces études, en rappelant que les études de théologie, on les entreprend pour faire un voyage !
Je trouve que ton billet a valeur de vrai témoignage sur ce qu'est un parcours en théologien, et puis un parcours en Eglise aussi... et un parcours de vie.
Quant aux études, tu poses des questions importantes sur la préparation au ministère, le manque ressenti d'une école pastorale au sens d'une préparation concrète aux exigences du terrain. On en a souvent parlé, je vois ça en universitaire et on n'est pas tout à fait d'accord sur le sujet, mais c'est important qu'on puisse en parler, justement ! Est-ce qu'on a les outils pour un ministère quand on sort de la fac ? En tout cas on a des outils pour ne pas être complètement démunis et c'est déjà beaucoup... je repense à un jeune pasteur en proposanat qui me disait il y a pas si longtemps qu'en sortant de la fac, même dans un grand sentiment de solitude, on se rendait compte qu'on n'était pas démuni face aux textes, que tout ce qu'on avait appris s'était installé en nous pour nous donner des outils...
L'horizon de la théologie il est déjà là : il fait de nous des lecteurs, des textes, du monde, de l'Eglise, de la société. C'est là qu'on s'enracine. Pas en tant que futur ministre ou futur autre chose. En tant que chrétien.
Le reste, c'est l'affaire de suivre un appel. Et là on se dépatouille tous comme on peut avec ça.
Merci Benji !

Remuccino a dit…

Merci! Salut!

A vos carrés messieurs, mesdames et mesdemoiselles, non ?…

Les carrés de nos principes et de nos belles représentations à formes humaines d’un divin et de notre action par rapport à nos voies.

ah… vocare… appel par mon nom.

Une voix qui me dépasse et me déplace et dont l’altérité par rapport à mes pensées humaines me font dire que c’est un appel divin, sa Voix.

Avocats, réalistes, discernons …

Qu'il agisse d’une voix, de Dieu ou d’un Homme, alors il est aussi question d’une écoute... de soi, où l’on est maintenant par rapport à toutes nos voies… écoute... de l’autre, et qu'entends-je dans sa voix, sa parole, par rapport à mon chemin, ma rencontre avec lui. Comment je lui prête l’oreille et je protège mes orteils ? Ecoute... d'un Autre, Et si c’est la voix de Dieu, quelle est la voie qui m’engage, sur laquelle je vais cheminer ? Cette voie me place par rapport à cette voix et sa réception, qu’elle soit d’un autre ou d’un Autre, cette voix engage ma voie.

Parfois, tu commences ce chemin par le thé au logis, puis oui, tu te dis pasteur pourquoi pas moi ? Comme voie logique, d’un partage autour du thé ailleurs, avec une Bonne Nouvelle, qu’on a envie de partager aussi. t’as envie de bouger mais t’es au Logis.

Par foi ou pas, tu peux être poussé par une voix, pour faire la théologie, un papa ou une maman, un ami, une question, un questionnement, une lumière alors tu entres dans ce nouveau logis… et la théologie nous fait réfléchir à la place du Théos, et du logos, et peut être nous invite à repartager le thé au Logis.

Et dans la maison que je bâtis, fort de mon cheminement, fort de mes études en théologie, et selon ma place toujours faible et fragile avec ma parole précaire et ma prière, et tout ce que j’engage, comment je m’engage?… qu’est ce que je fais avec mes études ?…

Et dans la Maison qu’il bâtit avec moi ; tel que je suis avec ma voie, Sa Voix, une vocation bonne, nouvelle peut me permettre de façonner ailleurs, à ma façon, avec mes forces et mes faiblesses, avec Sa toute puissance en tant qu’ouverture de tous les possibles… où ça me conduit ? C’est une question que jamais on élude !

Alors oui, il y a une espérance, une voie est possible dans cette voie, une place est possible à ma place, en laissant de la place à cette parole Autre. Pour que je puisse moi aussi, et toi aussi, placer nos paroles par rapport à Sa voix, nos voies par rapport à cette vocation qui nous appelle ici où là… Pasteur ou pas, pas à pas, à la croisée des chemins, la théologie a des issues dans le noir et blanc de la robe pastorale, dans le rose ou le pas tout rose, dans le pas tout blanc, ni pas tout noir, dans les nuances et les arcs-en-ciel des rencontres. Chercheur d’or ? Aumônier ? Journaliste ? Ecrivain ? Sociologue ? Anthropologue ? Professeur ? Acteur ? Vendeur de thé ? Homme de maison ? Homme au foyer ? Médiateur ? Animateur ? Serviteur ? Président ?... Présent ici, à l’écoute de notre vocation, dans notre situation, une voie est possible… à l’Or

Salut! Merci!

>>>THOMAS a dit…

http://www.forbes.com/sites/stevedenning/2011/09/12/the-ten-happiest-jobs/

;)

TK