mercredi 20 juin 2012

A Great Story (Jour 13)


 C’est quoi l’Evangile pour vous ? Pour être sûrs qu’on parlait bien de la même chose, c’est la question que nous nous sommes posée dans un groupe de discussion.
Il y a des moments, heureusement pas si fréquents, où je me sens profondément agacée par les présupposés théologiques qui servent de fondations à certains discours. Voilà qui m’ennuie : je me sens intolérante et incapable d’écouter l’autre. Mais est-on obligé, en écoutant, d’être d’accord ? Sûrement pas. Alors on peut examiner les raisons de cet agacement pour essayer d’y voir plus clair, peut-être ?
La première chose qui m’agace, c’est d’entendre « the Bible says that... ». Nous avons l’habitude dans notre formation universitaire à l'IPT de prendre de la distance avec le texte, la distance nécessaire pour comprendre comment le texte nous parle avant de conclure sur ce que le texte dit. Dans un de nos cours ici, le court-circuit est quasi systématique. « La Bible dit que... », ça signifie qu’une citation biblique va nous être donnée qui sert à conclure un argument. A l’IPT, nous faisons le contraire : c’est après avoir examiné le texte et ménagé l’espace nécessaire à la réflexion, en ne perdant pas de vue qu’il y a plusieurs hypothèses possibles parmi lesquelles nous faisons un choix, éclairé on l’espère, que nous en tirons une conclusion sur le sens. La prudence est de rigueur... Quand on cite un passage d’un discours de Job pour dire qu’il faut s’occuper des pauvres, on perd de vue la richesse argumentative de ce passage et le fait que dans l’économie globale du texte il est justement là pour être mis en question. Agacée, donc, par la naïveté de certaines lectures, surtout quand on prétend en tirer des leçons de moralité.
La deuxième chose qui m’agace parfois, c’est l’absence de problématisation théologique dans certains cas. Quand on parle de la pauvreté, on est d’accord pour dire que ce n’est pas bien. En gros. Mais en quoi, et de quelle pauvreté parle-t-on ? Est-ce un problème structurel ? Un problème spirituel ? Et si oui, pour qui ? Je suis d’accord pour dire que dans l’immédiateté de la détresse humaine, nous sommes appelés à lutter avec ceux qui souffrent, où qu’ils soient, quels qu’ils soient. Mais je ne suis pas d’accord pour dire que c’est le but ultime de l’Evangile. Parce que là, on ne parle clairement pas du même évangile.
Une des participantes au groupe de discussion a dit par exemple que pour elle, l’important était de partager la bonne nouvelle parce que c’est « a great story », l’histoire de l’amour de Dieu pour son peuple. D’accord, c’est une grande histoire, une belle histoire, une histoire qui aide à vivre. Mais est-ce seulement ça ? A quoi nous appelle Dieu ? Il me semble que la pauvreté n’est qu’une des formes (une des pires) de ce qui aliène l’être humain. Et que l’Evangile consiste à annoncer que l’être humain est délivré de tout ce qui l’aliène. Si on lutte, ce n’est pas pour accomplir le plan de Dieu, mais parce qu’on croit à cette incroyable promesse de la délivrance. Un travail qui n’en finit jamais, parce que dans ce monde le Royaume n’est pas accompli, il est en voie d’accomplissement... Quand on me dit que notre spiritualité nous transforme de telle façon que nous puissions agir dans le monde, j’ai envie plutôt de dire que ce n’est pas notre spiritualité, mais la grâce de Dieu, qui nous donne la liberté d’agir dans le monde. Grâciés, libérés, nous allons à notre tour annoncer la nouvelle de la libération ! Et notre action devient profondément ancrée dans cette promesse. C'est ça qui nous fait agir. 
Peut-être que c’est trop compliqué. Peut-être que ça ne parle pas. Ce qui pose un sérieux problème quand on s’imagine un jour ministre d’une Église... Si je ne sais pas dire ce qu’est l’Evangile, est-ce que je suis vraiment appelée à l’annoncer ? Là encore, décidément, je ne sais pas.
Peut-être que c'est une question de culture. Peut-être que c'est une question de caractère. Peut-être que c'est une question de différence de point de vue. Sûrement tout ça à la fois.
La tentation du silence... cette semaine, je crois que tout le monde la connait. Du point de vue de la dynamique de groupe, ça n’a rien de surprenant, au bout d'une dizaine de jours. Du point de vue académique non plus - on la connait tous, la tentation du silence. Du point de vue d’un certain idéalisme qui voudrait que, parce que nous chantons le matin que nous sommes unis, il nous est donné immédiatement de l’être, ça doit se vivre un peu comme une trahison. Mais du point de vue humain, c’est normal et humain justement. Alors on fait avec. Et quand il se dit malgré tout quelque chose, alors ce quelque chose prend une véritable importance. Et si on se tait ensuite, c’est simplement pour ne pas trahir la vérité de ce moment.


(Photo Endang Koli)

3 commentaires:

cricritounet a dit…

"The Bible says" n'est peut être pas pire qu'un "Barth a dit que" ou "Ricoeur" ou "Derrida a dit que" qui se poserait en argumentaire clé de voute. Quand on traite d'une question théologique, la moindre des choses c'est quabd même de se fonder sur les Ecritures...dans leur compréhension christlogique et sotériologique globales, mais quand même en prenant les passages qui évoquent le sujet en question. Après, on est bien traité une problématique en lien avec des paradigmes type "nouages borromeens(?) d'Ansaldi ou "Pyramide" de Gagnebin , dans lesquels les apports des Ecritures sont complétés par les apports experienciels, théologiques et des sciences(acceptions larges). se référer à la Bible, n'est pas en soi LE problème non?

Pascale a dit…

En effet - le problème c'est de vouloir lui faire dire ce qu'une exégèse sérieuse montrera qu'elle ne dit pas du tout ! C'est ça qui pose problème...

cristof a dit…

Après est ce qu'on peut s'entendre sur les critères qui déterminent une "exégèse sérieuse". Je pense que oui, tout au moins dans le cadre d'une église qui aurait un cadre dogmatique assez identifié. Mais est ce que les critères vont faire consensus par exemple en église "réformée" en France / et en Asie.
c'est toi qui sait.