samedi 30 juin 2012

Jour 24 - Lia


Lia est une des personnes les plus extraordinaires qu’il m’ait été donné de rencontrer. Elle n’a jamais étudié la théologie (ses domaines de prédilection sont l’art, les media studies, gender studies et cultural studies). Elle a co-fondé une petite entreprise de multimédia, fait de la photographie et du design, et continue son travail universitaire en donnant des conférences en Indonésie et ailleurs. Ici au GIT, elle encadrait l’équipe d’accueil avec une efficacité redoutable et une indéboulonnable bonne humeur. J’ai eu envie de vous faire partager la joie d’une conversation avec elle en vous faisant entendre un peu sa voix et quelques-unes des ses histoires... j’espère n’avoir trahi ni son discours ni sa pensée en les retranscrivant.

Dans mon village, à l’ouest de Sumatra, la terre tremble trois fois par jour. C’est comme prendre un médicament, on le fait tous les jours mais on n’y pense pas vraiment ! J’ai encore de la famille là-bas, mais maintenant ma vie est ici, à Jogja. Enfin j’espère pouvoir aller en Europe bientôt... J’y suis déjà allée pour des conférences, pour parler de mon travail sur le système matriarcal chez moi. D’ailleurs les auteurs que j’ai lus pour ma thèse sont occidentaux pour la plupart: Bourdieu, Judith Butler... Ce qui m’intéressait, c’était de comprendre l’articulation entre le système matriarcal, l’islam et le système traditionnel; c’est en conflit permanent, et pourtant c’est comme trois branches pour construire un feu: s’il y en avait moins ça ne marcherait pas.
Mon père était un imam. Et ça m’intéresse ce que vous dites sur votre religion ici au GIT, je trouve ça fascinant de vous entendre parler. Pour moi, on ne peut pas mettre Dieu dans une boîte. Il y a la boîte de la religion, mais pour moi, Dieu et la religion sont deux choses différentes, complètement différentes – et je suis très loin de ce que j’ai appris quand j’étais enfant en disant ça. Petite, je suis allée dans une école coranique, j’ai appris l’arable ; au lycée, j’ai été obligée de porter le hijab. J’ai refusé pendant deux ans mais la troisième année j’ai dû céder. Quand j’étais petite, on me disait qu’il y avait un Dieu et qu’il fallait y croire, qu’on allait en enfer si on ne priait pas. Je me souviens d’un livre pour enfants où on montrait l’enfer, avec des ciseaux pour couper la langue des gens. Ca mettait ma mère en colère. Elle disait « pourquoi faut-il dire ça ?! Il suffit de dire qu’il y a un Dieu ! » Et moi, je disais « mais comment il peut y avoir du fer en enfer ? »
En Islam, pour prier on regarde vers le haut. Dieu n’est pas à côté de nous, il est toujours en haut. Dans le Coran, on dit qu’après la mort, beaucoup de questions nous serons posées et qu’on ne pourra pas mentir, parce que chaque partie du corps répondra individuellement. Quand j’étais à l’académie des arts, au début de mes études supérieures, on a imaginé une chorégraphie comme ça : des parties du corps qui réagissaient de façon indépendante, chacune avec sa propre volonté. Moi je devais m’occuper de la musique et je me suis creusé la tête : qu’est-ce qu’il peut y avoir comme musique en enfer ? Et au paradis ? Qu’est-ce qu’il aime comme musique, Dieu ?! Alors j’ai mis un métronome au milieu de la scène – le temps. Pendant dix minutes, on a mis le métronome et les danseurs ont dansé sur cette musique-là. Tu vois, les catholiques ont un rosaire : on prie avec, et quand on a fini le tour, on recommence, c’est circulaire, ça ne s’arrête jamais. C’est ça la musique, le rythme ne s’arrête jamais. J’ai l’impression à vous entendre que quand vous apprenez la théologie, vous avez besoin de regarder en arrière tout le temps.
D’ailleurs j’ai une question pour les étudiants en théologie : après avoir appris la théologie, est-ce que vous vous sentez plus proches de Dieu, ou plus loin ? Quelqu’un m’a dit qu’il se sentait plus loin... mais qu’en tant que pasteur, il ne pouvait plus sortir Dieu de la boîte... Avec cette histoire de Dieu dans une boîte, il y a tout à coup des choses qu’il faut faire et des choses qu’il ne faut pas faire... Vous parlez de choses tellement lointaines, hautes... que vous oubliez les choses simples. Vous partagez des temps de culte, vous parlez de l’Evangile... mais en parlant des petites choses, des choses simples, vous pouvez changer de perspective aussi... Comme cette histoire de Bible : il s’agit de comprendre le message de la Bible finalement, non, plus que la Bible elle-même ? A mon avis, « the medium is the message ». Parfois je vous écoute et j’essaie de rentrer dans votre contexte, vous allez très loin dans vos pensées, vous parlez de désastres, de mission, mais vous oubliez le médium...
J’ai l’impression parfois que les pasteurs sont formés pour juger les gens. Il y en a qui m’ont jugée ici, parce que je suis lesbienne, ça a confirmé mon stéréotype des pasteurs ! Mais en parlant avec d’autres, ça a détruit ce stéréotype... C’est comme si certains ne se rendaient pas compte qu’ils ne sont pas que des pasteurs, mais aussi des amis, des parents, des enfants... et même en parlant avec un ami, c’est comme s’ils se comportaient toujours en pasteurs ! Il y a d’autres fonctions dans l’univers que pasteur... Et s’ils ne cherchent pas à abolir le mur entre eux et leurs paroissiens, ils risquent de se comporter comme s’ils étaient supérieurs, non ? Certains, ici, ils sont pasteurs tout le temps...
Parfois, j’ai l’impression d’être un «pasteur de vie» (a minister of life). Quand quelqu’un me parle et que je comprends, je peux être pasteur – comme vous faites, vous annoncez des bonnes nouvelles, vous avez des bons conseils, des faits objectifs, vous êtes des médiateurs – et parfois, quand je dis ce que je pense, après ils se sentent mieux... et j’étais un pasteur de vie pour eux ! Quand on vous pose une question, vous cherchez la réponse. Et ça fait se sentir bien, d’être dans ce rôle ! C’est un beau métier, pasteur ! C’est pour ça que vous apprenez, que vous allez en cours ici, que vous lisez autant de livres. Ils vous croient, et vous les aidez. C’est la même chose dans l’islam : annoncer de bonnes nouvelles, aider, être bons envers les gens... Mais ça implique aussi d’exclure certains. Moi, par ce que je suis, j’ai faux partout !
J’aime bien vos temps de worship. Du coup je me demande ce que ça signifie dans mon propre contexte. C’est quoi, au fond ? c’est de dire merci, d’attendre une bénédiction. Quand j’entre dans la chapelle ici, j’attends la performance... C’est un peu comme si j’étais au théâtre ; et c’est bien ! Le sermon vu comme une performance, c’est quelque chose qui peut s’interpréter (et j’adhère aux thèses du post-structuralisme, là, sur l’interprétation). Il y a un message, beaucoup d’interprétations, ça doit se lire. Et tous ces détails ont une signification : allumer une bougie, se tenir dans le silence, se saluer... Je ne sais pas si c’est quelque chose de bon ou pas en soi, mais assister à ces moments, c’est comme assister à un spectacle. On peut faire ça n’importe où, n’importe quand. Après, il faut voir si Dieu doit être considéré comme le public ou comme un personnage dans le spectacle !
Moi, quand je lui parle, je lui parle, et après il me laisse tranquille, il me laisse vivre. Mais je ne sais pas s’il est toujours là. Vous, vous pouvez vous adresser à quelqu’un, à Jésus. Pour nous, Dieu est abstrait, en islam on ne peut jamais se le représenter. Mais je pense qu’il est toujours là. Il est impossible à imaginer, mais toujours là. Enfin, il faudrait le prouver. On ne peut pas penser que par analogie ! On peut prouver l’existence de l’oxygène en allumant une bougie, mais Dieu... c’est trop facile, de faire une analogie.
Enfin je crois à une puissance en tout cas. D’ailleurs si ça n’était pas là, on se serait pas là en train de parler ensemble, non ? Tous ces gens réunis qui viennent du monde entier, qui se rencontrent comme ça... Après, ça demande un engagement personnel, particulier, et ça il faut y être prêt... Quand j’étais enfant, on a essayé de me forcer à croire, et je n’aime pas ça du tout... Quand j’ai réalisé que j’étais lesbienne, j’étais sale pour eux. Je voulais prier, faire face à Dieu, mais on m’a dit que je n’avais pas le droit, du coup j’avais peur de lui faire face, de prier, de lui parler. On m’a dit qu’il ne m’écouterait pas. Enfin elle ! Moi je pense que Dieu est féminin !
Mais la religion, c’est comme un style, comme le style qu’on choisit de porter. Pour croire en Dieu, il faudrait que je choisisse une religion. Ou est-ce qu’on peut croire sans religion ? Tu crois ? Je ne sais pas. Le commitment... mais il y a des tas de règles et je n’aime pas ça ! Ou alors Dieu ne fait pas de règles et c’est nous qui les inventons ? Mais j’ai l’impression qu’il faut faire quelque chose de concret pour se rapprocher de Dieu. Enfin si on pense comme ça, tout est concret, même la pensée : ça prend du temps, de l’espace, c’est du concret. J’ai besoin de croire en quelque chose. En moi, déjà !
Enfin bon, une religion, c’est quand même comme un parti politique : on rassemble des gens, on recrute, on gère de l’argent, on essaie d’en gagner, on essaie de convaincre... Mais quand vous apportez une religion quelque part, vous cassez tout... vous dites que votre propre religion est la bonne, que vos règles sont les bonnes... ça fait changer les gens, ça les transforme complètement. Comme un parti politique, on dit aux gens « regardez mon programme, j’ai une meilleure vie pour vous, et on a besoin d’argent ! » Dans un sens, c’est comme ça que je vois la religion.
Quand j’étais gamine, je jouais du piano. Et j’ai essayé de trouver un nouveau système tonal – dans ma culture, le système tonal est très différent, chaque instrument joue indépendamment. Je cherchais quelque chose que je ne trouvais pas. Le professeur m’a dit qu’il fallait que je trouve une ligne, et j’ai cherché. Et quelques jours plus tard, elle m’a appelée et elle m’a dit : « cette ligne, c’est ce qui te retient, ce qui te permet de revenir à ton point de départ quand tu t’éloignes, c’est à ça que tu te raccroches pour revenir ». Ca permet la flexibilité, ça permet de s’éloigner et de revenir quand ça devient trop difficile. C’est quelque chose à quoi on peut croire et qui te ramène à ton propre lieu. Quand on croit en Dieu, par moment, c’est le même sentiment. On essaie de trouver des réponses, tout le temps. Et le dimanche, quand vous êtes assis à l’église, vous êtes juste assis là... mais ça vous ramène à votre point de départ, à votre propre lieu. Dieu, il ne donne jamais de réponses ; vous répondez à vos propres questions...
Je dois croire qu’il me parle et que je ne comprends pas. C’est un jeu, tout le temps. Il y a une histoire, comme ça, d’un homme et son fils, qui sont partis chercher Dieu. Ils ont trouvé un arbre immense et ils ont commencé à lui vouer un culte. Et puis ils ont découvert qu’il y avait d’autres arbres, encore plus grands, et ils ont laissé tomber. Et puis ils ont découvert un rocher gigantesque et ils lui ont voué un culte. Et il y avait d’autres rochers encore plus grands... Alors le père, fatigué, a dit à son fils : « Ecoute fiston, je suis fatigué, on rentre à la maison, tant pis. On dira qu’on a trouvé Dieu. Et si on te pose des questions pour savoir qui est Dieu, tu diras que ça doit rester un mystère, parce que Dieu n’aime pas les questions... »
Un jour, le président indonésien a raconté que les chrétiens étaient très proches de Dieu, parce qu’ils l’appellent papa ; mais que les bouddhistes étaient encore plus proches de Dieu, parce qu’ils l’appellent « ohm » (chez nous, ça veut dire oncle, et on est beaucoup plus proches de notre oncle que de notre père – c’est celui qui nous achète des glaces!). Mais nous... nous, on est obligés de l’appeller par haut-parleur !
Enfin le GIT, c’était une expérience... rencontrer tous ces pasteurs, qui étudient ensemble, se posent des questions... ça pose des questions. J’espère que vous avez trouvé des réponses...



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