Il y a un proverbe, m’a-t-on dit, dans la région, qui dit que celui
qui n’est jamais sorti de son village, de sa culture, est comme « a
frog under a coconut shell », une grenouille sous une noix de
coco : elle croit qu’elle connait le monde, mais en fait elle
ne connait que le plafond et le bout de ses orteils (ça a des
orteils, une grenouille ? Il faudra que je vérifie ma
métaphore.) Ici, on soulève la noix de coco, voire on l’agrandit
ensemble. Hier matin, on était sous une calebasse. Le « worship »
du matin était mené par trois Africains et nous avons chanté et
célébré la parole de Dieu dans langue inconnue, avec des gestes
inconnus. Deux fois par jour, matin et soir, nous nous rassemblons
ainsi pour un temps de partage avec des mots que nous ne comprenons
que rarement, parce qu’ils sont dits autrement. Est-ce que ça
parle ? Parfois, oui. Paradoxalement. En tout cas c’est un
moment privilégié, hors du temps.
Ensuite, les journées s’agitent, ce sont nos neurones qui
travaillent. Je me dis ces jours-ci que si la littérature peut se
définir, comme on dit en anglais, comme ce qui exigence « a
suspension of disbelief » (la mise en suspens de l’incroyance,
afin de croire ou d’adhérer à un monde fictif), alors la
théologie peut peut-être se définir comme « a suspension of
belief ». Pour parler ensemble de théologie, il faut réfléchir
en systématiciens et suspendre notre système personnel de croyance
pour envisager autre chose. Quand c’est radicalement autre chose,
ça pose parfois problème. Je réalise par exemple à quel point la
théologie enseignée à l’IPT est beaucoup plus vaste que la seule
théologie de Calvin. Quand on me parle de sanctification et de
réconciliation, j’ai du mal à faire entrer ça directement dans mon cadre
conceptuel ; de même, une théologie de la croix qui insiste
sur la souffrance humaine comme miroir de la souffrance du Christ me
pose problème quand elle n’est pas plus problématisée que ça.
La théologie de la croix de Luther après Paul me parle trop, et de façon vivante, pour que j’accepte
facilement d’en lâcher les présupposés pour entendre autre
chose ; quelquefois, j’en suis presque à me demander où est
la bonne nouvelle dans tout ça. Mais c’est en ce lieu de
difficulté existentielle que se posent les vraies questions.
Ici, nous évoquons beaucoup la théologie de la libération, et la
théologie de la création. Ce matin, on a parlé de la dette du
Tiers Monde (théologie de la dette écologique, qui veut que c’est
le Nord qui est en dette envers le Sud pour son exploitation des
ressources communes – un Américain a fait une discrète allusion
au fait qu’on était peut-être un peu marxistes sur les bords en
disant ça). Pour certains Occidentaux, cela soulève des questions
qui semblent tout à fait naïves (pourquoi les pays du Sud ne
mettent pas en place des lois pour parer à l’exploitation des
ressources et ne pas se laisser piller?). Pour certains, le respect
de la création est une catégorie qui ne se questionne pas (alors
que je me pose la question de savoir ce qui fait la différence entre
nature et création). Pour moi, il reste une vraie frustration à ne
pas revenir aux textes, ou seulement en survol, en extrayant ici ou
là un verset ou un autre. Là, je réalise que notre formation à
l’IPT est particulièrement solide, l’exégèse que nous
pratiquons est exigeante et fouillée : pas de naïveté
possible de ce côté-là, autant qu’il soit humainement
possible...
Mais il y a des leçons d'humilité à prendre : ici, la
plupart des participants connaissent et/ou ont lu Ricœur, Barth,
Tillich, parfois Derrida, et même (très rarement certes) Lacan. Et ils
connaissent tous la théologie contextuelle, et pour le plus grand
nombre la théologie de la libération, donc. Là, il y aurait
peut-être quelques fenêtres à ouvrir plus largement par chez nous.
J’ai eu vent de concepts étonnants élaborés par certains dans ce
contexte : la théologie de la porte par exemple, qui consiste à
ouvrir des portes entre les disciplines tout en les pensant contigues
et pas nécessairement complémentaires (je crois qu’il s’agit de
savoir comment ouvrir la porte et comment la refermer, mais je ne
parle pas indonésien et les subtilités, hélas, m’échappent).
Penser à travers le mur : c’est une idée intéressante.
Souvent, il y a chez les participants une exigence de réflexion du
côté d’une véritable praxis. Qu’est-ce que ça veut dire, pour
l’ici et maintenant, dans un ministère, dans un contexte donné,
ce qu’on étudie ? En quoi ça change vraiment les choses de
penser ce qu’on pense ? Qu'est-ce qu'on peut en faire, concrètement ? Cette exigence, nous ne l’avons pas
de façon aussi urgente. Là encore, ça relève sans doute d’une tradition
théologique différente mais ça interroge, ça fait bouger de voir
cette réflexion qui s’élabore collectivement.
Et puis il y a des gens dont j’aimerais vous parler mais je ne le
ferai pas : il y a des confidences qui ne se partagent pas (et
pourtant mes camarades restés en France y arrivent sur ce blog, qui
savent parler de leurs visites pastorales en évoquant, plus que la
personne, l’émerveillement de la rencontre et la profonde
signification qui s’élabore pour eux, les visiteurs, au moins
autant que pour les visités : quand la grâce survient...).
Ah oui, la grâce, parlons-en ! On n’en parle pas beaucoup
ici. Par contre on parle beaucoup du « Holy Spirit »,
dans une déconnexion déconcertante de toute christologie. Il
faudrait que j’examine d’un peu plus près encore cette question
de la pneumatologie abordée cette année en séminaire de
systématique, décidément. J’ai dû laisser passer des choses...
Mais là, « I’m thinking on my feet » (je pense sur mes
pieds), ou « off the top of my head » (du dessus de ma
tête) – deux belles métaphores qui renvoient au fond à un texte
souvent utilisé pour nos temps de célébration, celui sur le corps
unique composé de plusieurs membres. Tous les membres sont impliqués
dans la pensée collective !
4 commentaires:
hé bé! ça cogite et gigote , ça vibre sous la calebasse... merci toujours de ces questionnements théologiques. où se placer dans tout ça? ça me questionne, et juste en entendant les termes, j'aurais tendance à y coller mes propres représentations culturelles... du coup, théologie de la porte, ça me parle, ou du seuil, comme un penser de l'autre côté du mur bien sûr, du coup c'est peut-être aussi une théologie de la poste.
La réconciliation, du même coup, ça peut parler si on considère une réparation du lien, qui fait sortir des mécanismes d'exclusion.
bon sinon... comme ça me fait réfléchir de la tête aux pieds et des oreilles aux orteils, je confirme qu'on parle bien d'orteil de grenouille... et ton image montre bien ses jolis orteils...
enfin vlà, merci coa, quoi!
Est-ce qu'on va retrouver une Pascale transformée ?...je sais pas pourquoi, mais j'en ai vraiment l'impression ! Merci en tout cas !
Lacan? il semble en fait que Lacan ne trouve encore d'écho que dans le sérail franco français ...passer simplemnt en suisse, et l'importance de sa pensée (mêm chez les "psy") semble assez différente.
A la fac de théo de Strasbourg...Lacan connait pas! il faut le comprendre,
Il ya probablement un prisme de l'IPT, qui ne pose absolument pas problème et qui fait la richesse de l'enseignement de Montpellier. Mais cela mérite une mise ne perspective par rapport à l'enseignement théo d'autres fac. C'est cela la diversité non? Après pour l'unité et l'universalité...ton voyage est une expérience très enrichissante.
Merci du partage.
J'ai longtemps hésité à faire un petit témoignage de visite...retrospectivement c'était peut-être une erreur...que tu sembles confirmer, puisque toi, tu n'en parlera pas...la vérité sort de la bouche des enfants Lewis C.
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