Un jeune collègue indonésien me lance : « I can speak
your language, you know ! lancedijonoccerre... and bowedo, and
pawis of course ! » « What what what ? I’m
sorry, I didn’t get your French... » Regard consterné.
« Don’t you watch football ? » « Foo...
ooooooh ! Lens, Dijon, Auxerre, Bordeaux et Paris, c’est
ça ? » « Yeaah, that’s it ! We get up every
night at 3 to be able to watch the EuroLeague ! » J’en
suis restée comme deux ronds de flan (flabbergasted, ça se dit, en
anglais). Mais j’ai appris à ma grande joie que la France avait
bien joué contre l’Angleterre, pourtant il paraît que
l’Angleterre c’était l’équipe préférée de mon
interlocuteur.
Ici, l’eau en bouteille c’est de la Nestlé. Etonnant. Mais la
cuisine est bien indonésienne et c’est rudement bon. Du riz, avec
des accompagnements différents à chaque fois, cuisinés au wok :
légumes, poisson, petits morceaux de viande, crevettes, des herbes
fraîches, des saveurs très subtiles, des petits beignets fourrés
de sucré ou de salé, des vermicelles de riz avec de la sauce soja,
et puis des fruits locaux que je n’ai jamais vus ailleurs, de la
papaye fraîche, de la noix de coco qui baigne dans l’eau de coco
avec du sirop de framboise et de la glace, des gâteaux de riz cuits
à la vapeur aux couleurs pastel... Au bout de la rue, il y a un
quartier plein de petites boutiques où on va parfois manger une
glace (rien de bien exotique, des trucs en cornet avec du chocolat au
bout comme quand on était petits) et où certains trouvent du lait
(qui ne semble pas faire partie du régime local).
Sinon, les cours continuent. Ce matin c’était la suite du cours
sur la spiritualité et les participants sont toujours partagés.
C’est quoi, la spiritualité réformée ? Les Occidentaux ont
une certaine tendance à avouer qu’ils ne sont pas très expressifs
et que c’est dommage. Moi je ne sais pas trop. Est-ce que c’est
si dommage que ça ? Est-ce que c’est grave si l’action de
l’Esprit dans ma vie n’est pas visible pour tous ? C’est
vrai, je ne suis pas capable de partager ma joie tout le temps ;
je trouve que c’est un immense cadeau à chaque fois qu’il m’est
donné de le faire, sans que je le cherche expressément. Il y a un
moment où ça semble « juste » de parler, de dire
quelque chose de vrai sur ce que c’est qu’être chrétienne. Mais
ça n’est pas tout le temps ! J’ai du mal à me sentir
coupable de cette retenue, qui fait partie de ma culture et même de
mon identité, et qui permet la surprise de la rencontre, finalement.
Alors on réfléchit, on confronte nos expériences, et nos besoins
aussi. De quoi j’ai besoin pour vivre ma spiritualité ? Pas
de la même chose que mon frère, ma sœur, qui peut danser à chaque
célébration. Et lui, elle, s’ils peuvent être touchés par une
célébration intimiste, pleine de retenue, ont aussi besoin d’autre
chose. On dialogue... on découvre...
Le cours de l’après-midi est passionnant, et sans doute plus
académique aussi. Il est consacré à la mission. C’est quoi, la
mission, dans notre contexte culturel ? Et nous confrontons là
encore nos expériences. La professeur nous propose de réfléchir à
un couple conceptuel inattendu : le traumatisme et la grâce. La
question est simple : comment la grâce de Dieu peut-elle être
communiquée à ceux qui ont vécu un traumatisme ? Comment, en
tant que pasteur, en tant que communauté, les soutenir pour qu’ils
puissent entendre la réalité de cette grâce et en vivre, enfin ?
On parle guérison, on évoque la puissance de l’imagination
déployée dans le culte, dans les histoires qui font la trame de
notre foi : les histoires bibliques, nos propres récits de vie,
l’histoire de notre Église. Oui, il est possible de dire la grâce
à ceux qui ont souffert et sont perdus.
Je me pose la question à l’envers : est-ce que ce n’est pas
dans le lieu de notre faiblesse, justement, que nous sommes touchés
par la grâce ? Je veux dire : ce n’est pas aux gens
équilibrés d’aider ceux qui sont fragiles... nous sommes tous
fragiles et abîmés par la vie, et c’est justement là que la
grâce peut agir ! Plutôt que de dire « la grâce est
aussi pour eux », je dirais plus volontiers que la grâce est
pour tous, dans nos failles, là où dans nos vies nous sommes
faibles et tombés et relevés.
Ce soir, c’était mon tour de conduire le temps de « worship ».
Avant de connaître le contenu du cours de cet après-midi, j’avais
décidé d’utiliser un conte biblique que certains d’entre vous
connaissent, basé sur l’histoire des dix lépreux chez Luc. Celle
de cet homme qui, relevé, guéri, revient vers Jésus chanter sa
joie et à qui il est dit « va ! Va, ta foi t’a sauvé. »
Et là, devant ces regards attentifs, c’est comme si une parole
vraie avait pu se dire. Comme ce chant qu’une vieille femme à
chanté lorsqu’il y a quelques années, notre professeur de
missiologie est allée la voir : elle n’a pas pu raconter ce
qui s’est passé ce jour de juin 2000 où sa famille a été
massacrée parce qu’ils étaient chrétiens. Mais elle a chanté ce
même chant qu’elle avait alors chanté, debout, parmi les corps.
Ce n’est pas un récit. Ca ne relève pas de l’imagination. Ca ne
communique pas des faits. Mais ça parle, en vérité, quand on ne
peut plus rien dire.
Je me demande si l’Evangile ne nous touche pas à ce moment précis
où nous ne pouvons plus rien dire, et où tout ce qu’on a, c’est
un bout de chant, un regard, quelques mots, et la certitude que dans
cette immense faiblesse la grâce a fait irruption, malgré tout, du
côté de la vie donnée, pour que la vie continue.
1 commentaire:
MERCI.
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